mercredi 21 décembre 2011

La convention de Genève pour les jeux vidéos ? Réalité, violence, jeu.

Alors que la Croix Rouge annonce qu'elle se penche sur la violence dans les jeux vidéos les nombreux gamers s'empressent de crier à la censure et au meurtre de leurs droits démocratiques. Aucun ne comprend en quoi un « jeu » pourrait-il être contre la convention de Genève étant donné le caractère entièrement virtuel des actes commis et tous revendiquent le droit d'être violent et de tuer, tant que cela reste dans le « jeu ».

Jouer. S'éveiller. Apprendre. Découvrir le monde. Si le jouet est le symbole de l'enfance, de la naïveté qu'en est-il du jeu ? Le jouet est l'objet et le jeu est la mise en situation. L'enfant apprend petit à petit à reconnaître les formes, les couleurs, il apprend à se déplacer et maîtrise l'espace et les objets. Par la découverte du monde, l'enfant grandit et se construit, il se découvre lui-même. Le jeu passe par les objets, les déguisements qui placent l'individu dans des rôles. Ces rôles ne sont pas anodins, ce sont ceux dont il fait l'expérience à travers les histoires qu'on lui raconte, les films qu'il voit, les scènes quotidiennes auxquelles il assiste. Le jeu de l'enfant est le jeu de l'acteur. Aujourd'hui avec la dimension virtuelle et numérique des jeux, les possibilités de situations sont multipliées à l'infini. C'est indéniable, les jeux vidéos sont de plus en plus réalistes et de plus en plus violents. Comment expliquer cet attrait de la violence dans les jeux vidéos ? Où le jeu s'arrête-t-il ? Quelles sont les limites du réel et du virtuel lorsque le jeu se rapproche dangereusement de la réalité ? La mise en scène de monstres ou zombies crée-t-elle suffisamment de recul pour le joueur ? Quelles sont les valeurs portées par ces jeux ? La violence à l'écran est-elle la même entre le simple spectateur et le joueur averti ?

Quelle réalité à l'écran ? Le réalisme. L'image n'est pas réelle mais elle est réaliste. Ce que signifie l'image que voit le joueur n'a jamais existé mais il peut y croire et une situation similaire peut avoir eu lieu. Seulement la fiction dépasse la réalité. Le réalisme dépasse le réel. La violence s'installe dans les esprits et perd de sa puissance, perd de son réalisme, il faut alors plus de sang, plus de bruit, plus de choquant. Les conséquences d'une telle escalade est la vulgarisation de la violence réelle. Plus les jeux sont virtuellement violents et moins la violence est réellement violente. Dans le jeu des enfants c'est eux qui posent le décor et font évoluer les personnages. Le jeu de guerre n'est pas le même à l'écran parce qu'il est imposé. La question qu'il faut se poser est le rapport entretenu avec la « réalité virtuelle » contre laquelle le joueur ne peut pas se protéger. Le rôle des parents est alors primordial pour maintenir les individus trop jeunes ou trop sensibles à l'écart de jeux trop violents. C'est paradoxalement ce qui renforce le désir d'être un adulte, d'être un homme en affrontant cette violence. 

La violence au plus haut point existe. C'est ce contre quoi se battent des ONG, des penseurs et ce contre quoi la Croix Rouge veut lutter. Doit-on vraiment tout savoir ? Veut-on connaître les côtés les plus sombres de l'humanité ? Il semblerait que oui, au non de quelle raison ? Le droit fondamental démocratique de savoir ? Certes et ensuite ? Doit-on croire que l'homme est par nature violent, dirigé par son instinct ? Nous pourrions voir dans la simulation l'exutoire de cette dimension animale, au même titre que le sport, l'alcool, le sexe ou la création artistique. A la seule différence que cette énergie primitive est transformée dans les activités sociales tandis qu'elle reste plus brute face à l'écran. Nous ne sommes pas tous des tueurs en série frustrés qui cherchent à affirmer leur virilité démesurée pourtant il y a dans les jeux vidéos une dimension très masculine. Le défi, la compétition, la victoire. Dans une société où nous sommes réduits à de simples forces de travail il n'y a plus d'espace pour montrer nos valeurs, les seuls interfaces avec le monde sont nos écrans. Quelles vertus intellectuelles ? Le monde veut de l'idiotie, de l'absurde, du trash. Les jeux vidéos sont la manière pour les joueurs de s'affronter dans le monde entier et faire preuve de leurs capacités à manier le fer par la souris.

Le jeu est dans la nature de l'homme. Nous avons tous un rôle social. La violence existe indéniablement. Peut-on encore appeler la simulation de violence un « jeu » ? C'est l'espace dans lequel nous pouvons transgresser les règles. Cloisonner cet espace reviendrait à pousser les joueurs à transgresser d'autres règles. Au delà de la violence pure et dure c'est le symbole de la justice que représente les actions virtuelles. Agir sans conséquences, sans entraves, sans contraintes en toute liberté d'une manière immortelle. Le jeu qu'il soit calme ou violent pose les normes du monde réel et c'est en cela qu'il doit être considéré avec la plus grande attention.

Jeu, jouet et jeu ?

mardi 6 décembre 2011

Une maison compagnonnique ?

Chez les compagnons faire son Tour c'est voyager en France et à l'étranger et surtout vivre en communauté dans les maisons compagnonniques aussi appelés "cayennes". Longtemps les compagnons les ont construites de leurs mains et manifestent de leurs savoirs-faire. Mais en y regardant de plus près, elles sont bien plus que ça.
La maison est un lieu de recueil, un fort intérieur, un enclos, une bulle. Quand on rentre chez soi on s'exclut du monde, on en sort. Occuper un espace et se l'approprier c'est avoir des repères, les créer et laisser la place à la construction de son identité. La maison est un repère pour le voyageur car il partout où il part, un morceau de son cœur reste toujours dans un coin de sa demeure. Nous sommes tous plus ou moins nomades. Nous nous déplaçons de plus en plus pour aller travailler, faire nos courses, partir en vacances... mais partir n'est pas s'en aller, partir c'est revenir et revenir c'est rentrer chez soi. Non seulement nous pouvons nous retrouver, c'est à dire chacun les uns avec les autres membres d'un foyer, d'une communauté, mais se retrouver renvoie aussi à soi-même. Avoir un chez soi est important pour renouer avec soi-même, son identité. Ce rapport à soi et aux autres prend alors plusieurs dimensions, s'étend sur différentes échelles. Chez soi peut se réduire à un bâtiment lorsqu'on désigne la maison, l'appartement. Chez soi rappelle aussi l'endroit plus étendu village ou ville d'où l'on vient, d'où on se sent le plus appartenir, ou même une région, ou carrément un pays. Bien plus qu'une question d'ordre géographique, le chez soi témoigne de l'affection particulière d'appartenance à un groupe social, une communauté. Chez soi est alors avant tout là où se trouve notre famille, nos amis, nos concitoyens et dans des cas historiques comme celui de la question palestinienne nous comprenons qu'être chez soi au delà des considérations théoexégésiques signifie surtout être avec.
Un lieu est un repère, il répond à des codes et se veut rassurant. Ces codes différencient les écoles des bibliothèques, des hôpitaux. L'organisation d'un lieu est importante et lui donne son identité. Nous constatons aujourd'hui comment les magasins sont organisés de manière à rassurer le client, lui éviter de se perdre et le mettre à l'aise mais de la même manière (moins commerciale) nos foyers parce qu'ils se ressemblent rassurent les invités.
Nous faisons nos maisons à notre image, en voulant mettre en avant ce que nous voulons que les autres voient de nous. De la même manière que nos habits nous définissent, les maisons au même titre ne sont que des enveloppes matérielles qui supportent l'expression de nos personnes.
Avec le temps, un lieu se charge de mémoire collective, de souvenirs et c'est aussi ça qui fait sa force. Un lieu vit à travers ceux qui l'habitent. Quoi de plus vivant qu'une maison partagée par des dizaines de personnes rassemblées sous un toit, mangeant, dormant et travaillant les uns avec les autres du mieux possible ? Une maison de compagnons est un lieu vivant, un endroit de rencontres, un carrefour. Une rencontre de cultures différentes, de générations différentes, de passés et d'horizons divers, de métiers variés mais aussi de caractères et d'opinions propres à chacun. Cette multiplicité n'est pourtant pas un frein, c'est justement ce qui fonde toute la vivacité de ces maisons en mouvement quasiment toutes les saisons.
La maison est aussi un symbole fort. C'est ce que nous partageons avec les autres. Ceux avec qui nous cohabitons dans le présent mais c'est également le patrimoine de la communauté à laquelle nous appartenons, c'est-à-dire nos prédécesseurs comme nos successeurs. La ville, la nation et la planète le sont également à d'autres échelles. La maison alors est le bien matériel qui manifeste de notre cohésion. En prendre soin c'est prendre soin de ce lien qui nous unit (de la même manière, prendre soin de la Terre est prendre soin de ce lien qui unit tous les terriens, humains ou non). Quelle différence pouvons-nous faire entre une maison et un temple ? Le temple est un lieu de culte mais hormis cette fonction propre un dojo, une maison ou une église doivent être pris dans une même considération : en tant que support d'une identité.
Cette identité peut se manifester par des signes distinctifs, une équerre et un compas ou une croix mais s'arrêter à l'image d'une chose, son apparence n'est ni bien ni mal, l'important est de pousser les portes et d'être curieux de savoir ce qui se cache derrière une carapace ou un écrin de verre : des hommes comme nous tous.

samedi 3 décembre 2011

Le vieux barbu existe encore


Vous aurez remarqué les sapins envahir les villes, les lumières se multiplier au moment où la publicité devient de plus en plus naïve et enfantine, les vitrines de plus en plus rouges et pseudo-enneigées. Les gens se ruent dans les magasins et dans les rues tout le monde est sollicité pour une cause ou une autre. Nous sommes en décembre et malgré la température encore relativement douce nous sommes en hiver. Comment un phénomène religieux tel que la célébration de la naissance du prophète chrétien peut-il susciter autant d'enthousiasme dans une société qui a tué Dieu depuis un moment déjà ? Parce que chacun de nous de manière cyclique cherche des repères pour avancer, et comme tous les ans, nous cherchons ces repères dans des valeurs symboliques inspirées par la saison. L'hiver est froid et nous invite à rentrer chez nous, dans nos chaumières, près de nos feux, nos foyers. En ce sens plus chaleureux que ménage le foyer représente la famille qui s'unit, se réunit en cercle pour lutter contre la rudesse de l'hiver. Dans l'épreuve, les liens les plus vrais étant alors censés se resserrer. Les journées étant plus courtes, la logique voudrait faire de l'hiver une période où nous travaillons un peu moins, et pendant laquelle nous privilégions le repos, l'échange avec les proches, le calme de la demeure. A ces longues nuits, les innombrables illuminations décorent les maisons et villages, villes et boulevards pour essayer d'insuffler le maximum de vie à la noirceur de la saison meurtrière. L'hiver est la fin de l'année, le bilan, l'ultime moment de racheter ses fautes et faire une bonne action et les œuvres caritatives n'hésitent pas à faire appel à notre générosité en l'opposant à la culpabilité de notre égoïsme. Mais au final, ne nous voilons pas la face, les belles décorations et le vin chaud ne changent pas la nature humaine, chacun ne pense qu'à sa gueule, la différence à l'approche des fêtes est d'ordre diplomatique seulement. Même si les conseils chrétiens n'atteignent plus beaucoup d'oreilles, chacun espère inconsciemment qu'une justice naturelle récompense nos bonnes actions et comme nos parents nous l'ont très bien appris : si je suis sage, le Père Noël m'apportera des beaux cadeaux. Alors certes, passés la dizaine nous affirmons ne plus croire au Père Noël, cela reste encore à prouver. On nous le dit : il ne faut plus croire en rien, si ce n'est en soi même. La subtilité est du même ordre que la nuance entre croyance en Dieu et croyance en une force divine, car si bien sûr la majorité d'entre nous rejette l'existence d'une entité physique anthropomorphique effective, notre comportement laisse croire que nous espérions malgré tout l'existence d'une bonté morale qui récompenserait les bons travailleurs. Le mérite n'existe pas, la valeur n'existe plus. La magie de Noël voudrait nous faire croire que nous sommes gentils seulement pendant la dernière semaine de l'année alors que nous ne faisons que rêver éveillés les 53 autres restantes. Nous sommes de ce point de vue le majestueux sapin, immuable. Alors que la végétation se meurt pour mieux renaître nous persistons, insistons tristement, déracinés et souvent abattus. Quand la fin annonce le renouveau, nous ne voyons dans le commencement que l'entêtement dans la même direction. Une fois de plus nous nous mentons avec de belles résolutions qui ne sont en soi jamais des solutions mais plutôt des désillusions. N'en déplaise, l'heure est à la fête, habillons ce sapin de couleurs et de lumières et noyons notre misère dans un torrent de festins sous une pluie d'ivresse. A qui ment-on ? Aux enfants ou à nous-mêmes ? Nous ne mentons pas quand nous leur disons que le vieux barbu existe, nous nous mentons quand nous nous disons que nous n'y croyons pas, car nous voulons y croire et il n'y a pas de honte à ça. Croire est une bonne chose, viser un idéal est ce qui nous fait avancer. Ne pas assumer nous dispense de tout engagement et de toute responsabilité, c'est juste plus simple.

vendredi 2 décembre 2011

De l'art du graffiti


Au delà de l'écriture les graffitis représentent, telle la calligraphie, un art qui dépasse la simple transcription des mots. Là où la poésie a comme support l'écrit et l'idée transparaît à travers le mot, c'est le mot qui est le support et l'écrit est l'idée. N'allez pas comprendre que les graffitis n'ont aucun sens, mais au contraire, comme en fait n'importe quel signe dans son contexte, ce sont plusieurs significations que nous devons voir à travers et au-delà des images elles-mêmes.

 Un graffiti est alors d'abord une véritable recherche esthétique dont les seules contraintes s'apparentent aux conventions alphabétiques. A travers une riche créativité sont apparus des styles divers et variés représentatifs de modes culturelles aussi bien influencées par l'architecture, le design, les arts plastiques et également la typographie, discipline étroitement liée. La matière première de l'artiste n'est pas la peinture, le mur ou le mot : c'est la lettre. Des traits fondamentaux suffisants et nécessaires à la reconnaissance d'un « A », triste, morne statue inexpressive nous pouvons dégager une dynamique, un déséquilibre, un mouvement, une profondeur, une force, une attirance, une vie. Sur le papier, les mains de l'artiste font glisser la pointe du feutre des milliers de fois jusqu'à obtenir la forme parfaite, originale, maîtrisée. Sur un carnet ce sont des centaines et des milliers de répétitions d'un même signe, une lettre ou même un simple point. Similaire à la pratique de la calligraphie chinoise c'est une véritable recherche disciplinaire, rigoureuse. Le crayon marque les feuilles les unes après les autres jusqu'à la forme « parfaite » harmonieuse, cohérente avec les autres, dont le mouvement original doit néanmoins disparaître derrière la qualité d’exécution. Puisque écrire est avant tout transmettre un mouvement, une dynamique à de l'espace c'est la persévérance du corps qui est visée. Travail d'équipe entre l’œil et la main, trouver le bon signe c'est chercher le bon geste. Face au mur, les lettres prennent des dimensions décuplées et les traits se courbes, se délient, s'épaississent ou s'affinent, se rejoignent en laissant naître des espaces et des volumes qui ne tardent pas à se remplir de couleurs et de motifs. La force d'un graffiti réside en partie dans ce paradoxe soulevé par les lettres. Elles qui doivent servirent le mot, le mot qui doit servir la phrase et la phrase le texte, les lettres n'ont a priori qu'un rôle figuratif. Avec le graff' elles prennent les devants de la scène parées des plus beaux costumes, endossant le premier rôle et réclamant le titre de vedette ! Trop souvent dénigrée, cette pratique artistique acquiert de plus en plus de crédibilité à mesure que l'art moderne s'ouvre et que les artistes de rue passent les portes de certaines galeries tandis que d'autres artistes plus « classiques » prennent l'air. Ne faisons pas pour autant d'amalgame grossier entre deux mondes qui, bien qu'ils se répondent, ne se confondent pas.
Ce rapport à l'écriture est symboliquement très fort. Il manifeste d'une volonté créatrice déterminée à faire du beau de ce qui est commun et comment lui rejeter l'appartenance au genre « artistique » alors que ce moyen d'expression répond comme toute autre forme à des contraintes bien définies ?

Ce qui dérange évidemment est l'appropriation de l'espace public et ce qui s'apparente à de la dégradation. Il faut comprendre cette pratique dans son évolution historique liée à une critique de la société, notamment des ghettos et d'une urbanisation sans âme. L'art n'est-il pas surtout une protestation contre la société ? Sans quoi, la recherche esthétique serait une fin en soi. Par la manifestation de leur présence les communautés de graffeurs visent la reconnaissance de leur existence et l'affirmation de leur identité propre comme ce que cherche à faire chacun de nous à son échelle. Cette reconnaissance n'est sans doute effective que dans un milieu, mais exister n'est-ce pas forcément exister dans un monde ? Et comme dans n'importe quel domaine artistique il existe le monde des artistes de rue. En quoi la reconnaissance par des pairs est-elle différente dans la rue ? Il y a de toute évidence une provocation dans l'acte nécessaire à la production : à qui appartient la ville ? A-t-on choisi de se voir affligés de toutes ces panneaux publicitaires ? De toutes ces vitrines et ces enseignes ? Qu'est-ce qui dérange ? L'appropriation des conventions d'écriture, symbole des conventions sociales et culturelles ? A-t-on peur de ça ? C'est justement ce qui est revendiqué : sortons des sentiers battus ! Soyons imaginatifs, créatifs, actifs et maîtres de notre ville, de notre espace vital.

La rue est le meilleur endroit pour faire de l'art, si nous acceptons la définition de l'art comme une ouverture sur le monde, une rupture des conventions et des clichés. En quel autre endroit pourrait-il être mieux logé ? L'art est révolte silencieuse et pour être efficace elle doit se faire dans la rue, dehors, au grand jour et ne pas restée cloisonnée, enfermée, enchaînée. L'art d'aujourd'hui cherche à être spontané, accessible et populaire. L’œuvre n'est pas la même sans son contexte, son environnement. Certains artistes américains du mouvement Pop Art nous l'ont clairement montré avec leurs sculptures géantes (Oldenburg) qui n'auraient ni la place ni la force qu'elles ont maintenant si elles se trouvaient dans un musée. Comment enfin ne pas admirer l'humilité de ces artistes de rue qui inscrivent leurs travaux dans le moment. En effet, chaque production murale est amenée à être recouverte, parfois aussi rapidement qu'elle n'aura été découverte et le caractère éphémère d'un tel travail ne peut que renforcer l'estime que l'on peut avoir. L'art pour l'art ou simple marque de pragmatisme face au bruit incessant de la société dans lequel nous sommes noyés ? Avec les graffitis non seulement nous crions notre désir d'exister, mais nous le crions haut et fort, en formes et en couleurs !

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dimanche 27 novembre 2011

L'animal - Du mythe à l'absurde

Le rapport que l'homme entretient avec l'animal tel qu'il est aujourd'hui n'est certainement pas le même que celui qu'il avait quelques siècles plus tôt, encore moins celui qu'il avait au début de son humanité. L'homme s'est fait homme en même temps qu'il a fait l'animal, deux concepts qui n'existeraient pas l'un sans l'autre. L'homme est ce qu'il est, un être pensant qui n'est justement pas une roche, une plante ou un animal. Et pourtant, dans une société qui semblerait vouloir faire de l'homme une catégorie à part entière, les personnifications, allégories, analogies et autres métaphores confèrent aux animaux autant d'humanité qu'elles attribuent une animalité aux hommes. L'image de l'animal à travers l'humain et l'humain à travers l'animal est précisément ce sur quoi nous pouvons remarquer qu'au fil des âges c'est une complémentarité que nous proposons d'approfondir.
De l’Égypte ancienne à l'Inde, par delà l'océan Atlantique dans la tradition amérindienne les divinités sont animales. Le serpent à plumes Quetzalcoatl, Ganesh à la tête d'éléphant, Anubis la tête de chacal. Le symbole animal est très fort quelque soit la société, la culture. Très souvent ce sont des formes anthropomorphes qui mêlent l'allure de l'homme avec le visage d'un animal. Le visage, la tête est pour autant la partie pensante de l'homme celle qui lui permet de voir, d'entendre, de goûter, de parler c'est donc le siège de la plupart de ses qualités qui sont censées faire de lui un homme, différent de l'animal et pourtant c'est cette partie qui est animale dans la symbolique divine ou mythologique. Nous retrouvons de nombreuses chimères, tels les centaures ou minotaures qui associent les qualités de l'homme avec celles de l'animal, avec l'idée de la réincarnation dans certaines croyances l'animal ne devient sacré que parce qu'il renferme potentiellement l'âme d'un humain.
Avec le christianisme le dieu prend le visage de l'homme et l'homme prend le pouvoir sur le règle animal, Noé se pose comme sauveur de l'humanité et de la terre entière, et la mission de l'homme est de garder le jardin et protéger les animaux. L'homme s'élève peu à peu, il s'émancipe et se place au dessus de tout, et si à la Renaissance, les fables de La Fontaine sont connues pour leur mise en scène d'animaux qui représentent le genre humain, c'est avant tout pour accentuer des vices moraux que l'homme ne peut envier à l'animal si bien que beaucoup d'expressions dérivent de cette analogie... et la confusion avec le genre animal se développe quand cela arrange l'humain, ce qui nous fait arriver aux fantasmes de certaines créatures imaginaires comme les vampires, les loups-garous montrent l'animalité d'hommes qui n'en sont plus vraiment, à la fois des surhommes et des sous-hommes.
Nous retrouvons toujours la même symbolique chez Walt Disney avec une visée pédagogique, ludique mais malheureusement naïve. Quelle vérité se cache derrière la dialectique homme et animal que nous vendent les studios hollywoodiens ? Toujours cette même seule vérité hypocrite du chasseur sans cœur ou du citadin pollueur ignorant. Ce n'est pas faux. Mais ce n'est qu'une infime partie de la réalité et cette gigantesque hypocrisie prend toute son ampleur avec la nauséabonde publicité que l'on nous matraque à tout va. Les bêtes sont mises en scène sous des traits humains pour nous vendre des produits pour lesquels ils sont dominés, exploités, torturés. Tout ce que le commercial a à faire est mettre le visage souriant de l'animal sur son produit et voilà le consommateur rassuré ! Ce qui est absurde est cette décrédibilisation du règne animal. D'abord on lui donne les traits de l'homme en les exagérant un maximum, ce qui le ridiculise. Et cette image abaissante marque les esprits dans lesquels se forge petit à petit l'idée contraire par laquelle toute ressemblance de l'animal à l'homme n'est que pure fiction, absurde et simplement distrayante. Voilà la triste image que l'humanité construit aujourd'hui : l'animal est un produit de consommation, un objet de distraction. Plus l'homme maîtrise et domine et plus il réalise son fantasme de Dieu, car c'est dans sa nature, le roi est mort, vive le roi. Empressons-nous de le tuer pour prendre sa place. Le pire dans tout ça ? La soif de pouvoir tellement immense que l'homme en oublie sa propre condition et ironiquement ne se considère lui-même non plus comme un humain mais avec le reste du vivant comme de simples outils nécessaires à son propre désir : des bêtes.

dimanche 20 novembre 2011

La mesure de l'homme


Qu'on écoute Protagoras ou Pythagore et bien d'autres, l'observation de l'homme et son monde et la tentative de compréhension de celui-ci s'appuie sur sa mesure. Les nombres si anodins soient-ils sont les outils que l'homme a inventé pour cela. Que serait la technique sans les mathématiques et la géométrie qui nous permet de tracer points, lignes, courbes, surfaces et volumes ? Bien que les origines du compagnonnage soient quelque fois mises en doute, les dates importent peu. La maîtrise du trait, du geste n'a pu se faire qu'avec la maîtrise des nombres et l'évolution des techniques de calculs et de tracés. Les nombres ont toujours fasciné l'homme parce qu'ils sont cette impression d'être à la fois dans toutes les choses, comme entités régulatrices alors qu'ils n'ont aucune réalité propre. Les nombres et leurs pouvoirs sont souvent associés au divin sans l'être forcément, la trinité qui peut se rapporter aux pères fondateurs du compagnonnage, les éléments (trois chez les celtiques, quatre chez les grecs, cinq chez les chinois...) le chiffre sept encore que nous retrouvons dans beaucoup de mythes et contes, et qui a son importance chez les compagnons. Sans oublier les deux chiffres indéfinis grecs π et φ qui servent à tracer des figures géométriques et définir les proportions idéales.
Si l'homme est à la mesure de toute chose comme le disait Protagoras les œuvres qu'il laisse à travers le temps sont la preuve qu'il est malgré ça sans cesse en recherche de proportions dans la beauté, et chercher à dépasser sa finitude par la réalisation d'ouvrages dépassant sa taille et dépassant son époque. Les gratte-ciels d'aujourd'hui sont les cathédrales d'antan, manifestants le désir d'aller toujours plus loin, plus haut. Les pyramides restent aujourd'hui encore un mystère de construction, mais les Égyptiens ne détiennent pas le monopole d'ingéniosité dans ce domaine, d’impressionnants temples de sépultures taillés à flanc des montagnes témoignent dans la cordillère des Andes de techniques tout aussi remarquables, sans parler des patrimoines amérindiens, ou des temples et édifices de l'Antiquité...
Le compagnonnage se revendique des bâtisseurs, et c'est évidemment sur toute cette tradition que nous avons évoquée qu'il repose. Bien sûr la forme que cette institution ouvrière a aujourd'hui est trop récente pour pouvoir affirmer exister ainsi depuis des millénaires, mais l'esprit lui est resté dans la lignée des hommes qui cherchent à faire les choses selon les règles de l'art, selon les proportions justes avec une certaine foi dans les règles, les nombres qui sont les seuls repères invariants au cours des siècles. Car si les formes changent, s’aplatissent, s'affinent, se courbent ou s'effacent sous une matière qui semble devenir de plus en plus artificielle, morne et morte, froide derrière des machines sans âme, ce qui ne peut changer est cet œil humain qui distingue les moindres erreurs de grandeur, de longueur, de couleur... Cela peut paraître naïf mais tant qu'un triangle restera un polygone à trois côtés et que 2 et 2 feront 4, n'en déplaise à M. Descartes, alors l'homme aura toute sa place dans le travail de la matière, l'artisan peut faire confiance aux nombres.

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jeudi 10 novembre 2011

Dis moi ce que tu manges...

...et je te dirai qui tu es. Dans nos sociétés occidentales, alors que nous avons la chance de subvenir à nos besoins, nous avons la fâcheuse tendance à ne pas en avoir conscience, nous oublions toute l'importance du fait même de se nourrir comme processus vital, en sublimant l'aspect hédoniste de la nourriture. Prendre du plaisir à se ravitailler n'a rien de mauvais en soi, mais c'est la nature altérée de celui-ci qui est dérangeante. Considérer des plaisirs comme des biens en soi est différent de considérer des biens et les plaisirs qui y sont liés. Nous pouvons apprécier un repas, mais nous devons apprécier le fait même de manger. Nous ne devons pas oublier que la vie, le mouvement est énergie. Nos corps sont des générateurs chimiques tournant aux dérivés de photons, délivrés par la lumière du Soleil et assimilés par le règne végétal. Le cycle de la vie est le cycle de l'alimentation, de l'échange d'énergie, de la co-dépendance des êtres qui nous place dans un ensemble vivant, la biosphère. Nos gesticulations périphériques quotidiennes ne sont que des fioritures qui embellissent ce que chacun cherche avant toute chose : continuer à vivre. Et si nous acceptons certaines choses pénibles qui peuvent être le travail pour certains, les multiples contraintes de la société pour d'autres, c'est parce que nous devons tous nous nourrir et nous dépendons plus ou moins tous des uns et des autres pour ça. C'est pour manger que l'homme s'est sédentarisé, si il s'est installé près de l'eau c'est notamment car l'eau permet à la vie, aux plantes de pousser, et aux animaux de les manger.
Tous nos actes ont des conséquences, si celui de manger est le plus banal, le plus vulgaire, le plus commun, le plus nécessaire, cela n'en fait pas pour autant un acte innocent. Le monde dans lequel nous vivons, la société de production à laquelle nous appartenons reposent sur nos habitudes de consommation. Aujourd'hui plus que jamais, manger est non seulement un acte économique, politique mais aussi éthique et quelque peu philosophique. Manger implique des choix de produits, qui favorisent ou non des types de productions, de distribution, des modèles économiques et leurs structures commerciales et sociétales s'y rapportant. Car manger c'est acheter des denrées alimentaires et donc financer le modèle que l'on souhaite soutenir. C'est par conséquent un acte écologique quand on sait que les transports, l'agriculture, une partie de l'industrie et des services en dépendent directement. Manger est enfin un acte éthique quand il exclut certains aliments pour des raisons diverses, des conditions de travail, d'exploitation ou fondamentalement dans la prise de position morale contre la domination animale dans le cas du végétalisme.

vendredi 4 novembre 2011

Nouveauté


Demain est un autre jour. Le temps passe. Nous évoluons. Ce que nous appelons les phénomènes de mode peuvent être superficiels mais reposent en réalité sur la question des questions, le problème existentiel de référence qui est celui de l'identité au sens profond du terme. Par la substance matérielle, chacun cherche à révéler son essence. Les objets nous définissent car nous définissons les objets. Ainsi par la création matérielle nous affirmons notre être. Malheureusement, notre société telle qu'elle est fait ne nous permet pas à tous d'être de purs créateurs, fabricants, artisans de nos espaces, de nos apparences. Dans le monde des échanges financiers, certains conçoivent pour les autres. Les autres ce sont en fait toujours nous, tout le monde, car tout le monde, ou plutôt personne, ne peut tout faire lui même. Alors la liberté qui nous reste pour nous affirmer réside dans le choix que l'on peut faire. L'homme d'aujourd'hui est libre (c'est ce qu'il croit) dans le choix de sa voiture, de la couleur de la carrosserie, de la texture de son intérieur, des options, du financement, des extensions de garantie... et l'homme d'aujourd'hui est libre (c'est ce qu'il croit) parce qu'il change de voiture, d'habits, de four à micro-ondes... De toute évidence il invoque la vétusté des objets, leurs dysfonctionnements entêté d'acquérir ce qu'il y a de mieux. Le mieux c'est surtout le neuf, le nouveau, ce qui n'existait pas avant. Le mieux est censé être quelque chose de bien, mais en mieux. Sans considérations d'ordre moral, le bien suppose répondre à une exigence, une attente, une contrainte mais la plupart du temps c'est l'objet lui-même qui crée le besoin et la seule exigence du consommateur est la nouveauté.
Le besoin de nouveau répond au vide de nos vies. Il répond à l'angoisse d'une existence monotone. Car pour que vivre ne soit pas simplement survivre, vivre doit signifier évoluer, changer et non pas stagner et pourrir. De ce fait, la soif de nouveauté accélère l'homme (et la femme) dans le futur, dans le futurisme même. Jaloux des objets qui tiennent le coup plus que lui-même, tout ce qui rappelle le passé finit par être dépassé, dépecé et déposé sur le trottoir. Changer de vêtements en fonction des saisons c'est prendre sa place dans le temps qui passe, et prendre ses marques (dans tous les sens du terme) dans une identité sociale (ceci est une autre question). Le shopping est un véritable rituel psychologique, quasiment ontologique ? Le cartésianisme est dépassé, si je suis ce n'est plus parce que je pense, mais parce que je dépense. Alors oui, nous avons besoin des objets pour vivre, chacun a son utilité mais combien de babioles, de gadgets, d'accessoires aussi futiles qu'utiles s'amassent dans nos demeures après n'avoir servi qu'une poignée de fois au mieux ?
L'on veut nous faire croire qu'il faut avoir pour être mais cela n'a rien à voir. La nouveauté, la vraie, la pure, la dure ne se trouve pas dans l'acquisition compulsive mais dans la création, l'originalité, celle qui s'émancipe des règles, des normes, des lois et s'affirme d'elle-même.
L'énorme ironie dans tout ça c'est que la nouveauté est devenue à telle point banale qu'elle paraît évidente et nous semblons implicitement affirmer une évolution, une amélioration, un progrès scientifique, technologique, artistique indépendante comme une vérité en soi en oubliant que rien n'est jamais acquis et que tout reste à créer. Les découvertes, les avancées, les progressions ne tombent pas du ciel, si elles s'appuient évidemment sur nos acquis elles demandent et demanderont encore des quantités d'énergie, d'idées, d'hommes et de femmes pour naître et constituer les futures nouveautés, les véritables inventions.

mercredi 2 novembre 2011

Un sens à la musique ? - 1


Qu'est-ce que la musique ? En quoi a-t-elle du sens ? Ce qui nous intéresse ici et dans les articles suivants est de s'interroger sur sa signification en tant qu'objet artistique particulier personnel, conventionnel et identitaire.

1. La musique en tant que pure sensation animale

Si nous reprochons parfois à l'art d'être trop intellectuel, incompréhensible, réservé à une élite, la musique paraît être partagée sous ses différentes formes par tous, les animaux y compris. Ne serait-ce pas la forme d'expression la plus primitive, la plus physique, la plus brute, la plus animale comme la résonance de notre intérieur ? Le rythme est en chacun de nous. Les muscles de notre cœur le font battre continuellement faisant affluer le sang qui traverse chacun de nos organes, en collaboration avec nos poumons qui se remplissent et se vident d'air. Notre pouls est à la mesure des œuvres musicales, allant d'une soixante à deux-cent-quarante pulsations par minute. Si le tempo se rapporte à l'effort, à la vitesse, la musique nous rappelle simplement en chaque instant notre existence à travers le temps. En réduisant la musique au rythme (bien qu'elle ne soit pas que ça) elle porte une fonction importante de matérialisation du temps qui passe. Le tic-tac d'une horloge ou d'un métronome est déjà en soi de la musique, dans cette approche où les sons ne sont plus de simples bruits désordonnés, sans progression ou place dans le temps autres que leur manifestation propre mais par leur juxtaposition, répétition, similitude, ils investissent la durée tout en la découpant. De ce fait, par sa déconstruction les sons rythmiques rendent manifestent une chose, le temps, qu'on ne peut percevoir de cette manière autrement. Malgré cette hypothèse nous savons que ni la musique, ni la perception temporelle ne peuvent se réduire au rythme. Les recherches scientifiques notamment en neurologie nous ont permis d'approfondir un lien étonnant entre la perception du temps et de l'espace. Nous savions déjà que certains animaux tels les dauphins ou les chauve-souris se repéraient et se déplaçaient grâce à leur perception extrêmement affinée d'ondes sonores. Nous savions également que ce que nous appelons l'oreille interne nous sert à nous maintenir en équilibre, et que c'est à elle que nous devons en partie les maux de mer. L'université d'Otago a démontré par expériences sur des sujets atteints d'amusie, d'agnosie musicale qu'ils présentaient des troubles de localisation. Une autre étude a montré comment la pratique musicale favorisait la relation entre les deux hémisphères du cerveau ainsi que la coordination des membres, ou la capacité à se représenter les formes dans l'espace. Le son qui forme la musique est un déplacement rapide d'air, la perception par notre oreille se fait par sensibilité des différentes fréquences, vitesses donc auxquelles se meuvent les particules d'air. Notre propos ici n'est pas de présenter le fonctionnement de l'oreille humaine mais nous devons comprendre que la musique est bien un phénomène physique, et en tant que tel il affecte notre corps directement (ou par le moyen du cervelet) en agissant sur la sensation qui peut être agréable ou douloureuse. Ainsi certaines fréquences trop aigües, le crissement d'une craie sur un tableau par exemple, seront insupportables. En essayant de réfléchir au sens sensible de la musique nous voyons donc bien en quoi elle s'adresse avant-tout à notre corps plutôt qu'à notre esprit. Si nous constatons que la musique est animale, nous nous doutons bien que les sensations brutes qu'elle peut procurer ne suffisent pas à la décrire. Si la musique est une expérience sensible plus complexe, c'est qu'elle crée ou rappelle des émotions.






"La musique émotion" à suivre...

mardi 1 novembre 2011

Poétique de la lettre

Si nous n'avons pas de Q c'est que C dans l'R du temps mais la question demeure : comment mettre les poings sur les I ? Faut-il prendre des gants au pied de la lettre ? A première vue elle ne paraît pas vivante, vide de sens, sans idée. Pure forme, ligne, courbe, point, espace figés. Elle n'a certes pas l'âme d'un idéogramme ou la dynamique d'un caractère arabe ou hindi mais la lettre romane n'est pas dépourvue d'une certaine poésie, d'une mystique.
Notre alphabet latin issu du grec est lui même issu du phénicien et les formes qui nous sont parvenues aujourd'hui sont inspirées de la nature. Chacune suit un mouvement, une direction qu'elle soit inscrite dans une verticalité, dépassant l’œil de part et d'autre ou bien plus fermée, tassée obligeant les brèves courbes à se replier sur elles-mêmes.
Chaque lettre possède sa forme, son mouvement propre qui n'est défini que par opposition aux autres, c'est ce qui lui permet d'être libre et matière à création à travers la calligraphie, la typographie ou sa forme urbaine dans les graffitis. Ainsi par exemple le O n'est pas une forme figée mais une norme, un ensemble de contraintes qui englobe une multitude de graphies : il peut être un cercle comme une ellipse, un disque ou même un point mais bien plus : dans l'écriture manuscrite on le retrouve avec une petite queue, sur un cadran digital il peut être carré et discontinu, il peut même à l'extrême disparaître derrière une forme, un symbole tel un visage, un soleil ou toute autre forme qui pourrait saisir l'essence de la lettre.
Cette liberté est primordiale et nous permet de déchiffrer les écritures manuelles propres à chacun. Pouvoir comprendre la psychologie d'un sujet à travers sa plume, comme nous l'évoquions plus tôt pour la calligraphie chinoise (voir article relatif), jusqu'à un certain point il est clair que chacun s'approprie les normes d'écriture et l'espace, les limites qu'offrent celles-ci dans l'interprétation des codes. L'écriture manuscrite n'est pas de la calligraphie, elle ne cherche pas l'idéal esthétique d'une lettre, une telle réflexion n'est pas engagée dans l'écriture quasiment mécanique de la main tenant un simple crayon. Au fond la simple écriture manuscrite consiste en la recherche et l'application des critères minimums assurant la discrimination des lettres les unes par rapport aux autres.
Si elle trouve toute sa liberté dans l'écriture manuscrite, la lettre est largement exploité comme symbole, portant les couleurs d'une marque, d'une institution, d'une idée. Dans les sciences, mathématiques ou physiques, la lettre peut porter à elle seule la quantité d'énergie électrique, la valeur d'un nombre définie ou non, par convention métaphorique nous accordons beaucoup de valeur à ce qui est à la base, élémentaire ! Nous retrouvons le « S » ou le « Z » bien connus comme signatures de nos héros et le « M » indique aussi bien le chanteur français, le métro comme la chaîne de restauration rapide américaine, selon des formes et couleurs différentes.
Si les lettres s'effacent généralement derrière les mots elles peuvent aussi bien les dépasser. Des acronymes fleurissantes aux gentilles charades en passant par l'affreux langage SMS (ironie du propos) les lettres s'émancipent de jour en jour.

dimanche 30 octobre 2011

Main et Humain


Selon Anaxagore, l'homme serait le plus raisonnable des animaux parce qu'il a des mains. Aristote plus tard affirmera le contraire. Le lien étroit entre l'intellect et le geste de même nature que celui qui lie corps et âme, théorie et action. La pensée et le mouvement forment un couple, chacun complète l'autre plus qu'il ne s'y oppose où le domine. Malheureusement avec l'avènement des sciences, techniques et productions industrielles l'intelligence du geste tend à se perdre dans l'ombre de l'hypermécanisation. Le geste artisanal, technique, réfléchit autant qu'intuitif, sensible, artistique reste le propre de l'homme, humain est main.
Le pouce opposable qui nous est si cher place nos mains au centre de toutes les actions humaines depuis les premiers silex, les premiers outils jusqu'aux derniers écrans tactiles ou manettes de consoles. De nos doigts, qu'ils désignent, insultes, portent l'anneau ou suggèrent nos intuitions, tous nous servent tous les jours pour vivre. La main est créatrice, c'est elle qui nous transmet la sensation de matière, qui nous livre l'essence des choses en affirmant leurs résistances, leurs chaleurs, leurs surfaces.
Tout comme notre corps ne peut se résumer à une enveloppe de chair, une machine que l'âme habiterait, la main n'est pas simplement un outil, un organique mécanique que l'esprit commande. La main est sensation, elle est intuition, elle est raison. En contact avec la matière elle connaît, elle est mémoire. L'apprentissage d'une technique, d'un métier, d'un art ne consiste pas en connaissances absolues que l'esprit ou le cerveau pourrait emmagasiner et distribuer à travers les membres du corps selon les besoins, les circonstances. C'est un ensemble, un tout qui travaille en harmonie. La mémoire physique du toucher, des formes, des reliefs se crée subtilement à force de répétition.

La main, premier outil de l'artisan

La main n'est pas un outil spécifique, c'est comme le disait Aristote l'instrument des instruments, organon pro organon, celle qui est capable à la fois de les créer et de les utiliser, les mani-puler.
Chez les artisans et notamment dans le compagnonnage la main est primordiale. C'est l'outil premier du travail de la matière, elle peut tout faire. La main de l'apprenti au début douce, fragile et maladroite se durcit tout en s'affinant et se forge avec le temps, par le travail, par la rencontre avec le bois du menuisier, le cuivre du chaudronnier, la pierre du tailleur... chaque artisan apprend à connaître la matière avec ses mains, il sait dire si son bois n'est pas assez sec ou sa pierre trop cassante. Sa main prend du caractère, marque son histoire par d'innombrables coupures, échardes, pincements, frottements, ponçages et parfois amputations qui lui donnent cette aura d'œuvre à part entière.
Il sent les aspérités naturelles ou artificielles avec lesquelles il va jouer pour donner au matériau brut sa forme la plus avantageuse. Lorsqu'il travaille sur son œuvre, l'outil qu'il tient est un intermédiaire entre la force motrice de l'artisan et la force de réaction du produit créé. La main réagit subtilement à chaque mouvement, ajustant chaque geste en fonction du précédent. L'angle d'attaque du ciseau dans la pièce de bois, la prise de celui-ci, la vitesse à laquelle l'outil se déplace, la manière d'évacuer le copeau... le geste technique peut s'expliquer mais il se vit avant tout, il se ressent, il se cherche, se trouve et se construit au fur et à mesure, dosant l'énergie suffisante pour être efficace. Plus qu'un symbole, avec sa quarantaine de muscles c'est le véritable organe du créateur, de l'homme habile, qui se crée lui même en même temps qu'il crée sa main et son monde. C'est en cela que l'on peut dire qu'il n'y aurait pas d'humain sans main.

Voir aussi :
La mesure de l'homme

samedi 29 octobre 2011

Métaphysique de la cigarette

« Fumer tue ». Aujourd'hui plus personne ne peut le nier ni l'ignorer. Sur tous les paquets de cigarettes sont affichés des messages de préventions. L'homme est averti. Comment devient-il fumeur ? Serait-ce une pulsion morbide ? Nous ne pouvons imputer au phénomène physiologique d'addiction toute la responsabilité d'un comportement pareil. Toute la symbolique cachée derrière la cigarette mérite de l'attention et de l'imagination car elle est sûrement plus complexe qu'il n'y paraît. Le feu. Remarquez l'allure et le comportement néandertalien du fumeur dépourvu de briquet ou d'allumettes qui ère désespérément en soirée dans la rue à la recherche du porteur de feu comme si ce dernier pouvait le sauver de la faim ou de la menace de féroces créatures. Le feu matriciel pythagoricien reprend alors sa place centrale dans la conception vitale du fumeur. La transmission du feu permet ainsi de resserrer les liens du clan. Celui qui possède le pouvoir incandescent maîtrise une partie de la Nature et des éléments. En acceptant d'en donner une partie à ses congénères il sait faire preuve d'humilité et manifeste de la sorte l'égalité de rang de l'homme face aux animaux. Le fumeur est ce type de personne qui se réchauffe en hiver avec une cigarette qu'il fume dehors car dedans c'est interdit et le besoin de se réchauffer n'est plus pertinent. Jouer avec le feu sans se brûler c'est peut-être le propre de l'homme. Construire des centrales nucléaires sans qu'elles n'explosent. Se tuer à petit feu. Car vivre n'offre aucune échappatoire à la mort, se sentir mourir n'est-il pas un moyen de se sentir vivre ? Respirer. Inspirer. Expirer. Sentir son corps de l'intérieur.
L'air. Le plaisir et la douleur sont les deux faces d'une même pièce aurait dit Socrate. Dans les deux cas ils manifestent l'existence de l'être capable de perceptions. Donner de la consistance à cet air qui bien qu'invisible est vital. L'esprit ? Du latin spiritus qui signifie le souffle ? Inspirer, Expier ? Le fumeur chercherait-il à cracher son âme ? Les bouddhistes font brûler de l'encens pour envoyer leurs prières aux dieux célestes. Quel message peuvent bien vouloir envoyer les fumeurs ? La combustion, rencontre du feu et de l'air rend visible ce qui ne l'est pas. La condensation hivernale de la même sorte matérialise cet air qui sort de notre corps. La fumée donne une substance à l'énergie infiniment nécessaire, en chaque instant selon le rythme de nos poumons. Ce qui est habituellement un cycle quasi inconscient, silencieux et qui fait se gonfler et dégonfler notre cage thoracique comme une pompe prend alors l'ampleur de sa fonction. Et ce qui n'a pas de forme, d'espace, de contours, de couleur, de profondeur devient un véritable objet à part entière qui évolue, indépendant, léger, se contorsionnant en volutes sur lui même dans une lenteur apaisante, envoûtante. Tout cela pourrait être tellement poétique si cette fumée n'était pas remplie de goudrons, solvants, oxydes, acides, et dizaines de composés chimiques toxiques qui polluent notre air.
La mort. En écartant l'idée que tirer sur une clope manifeste un désir infantile de téter le sein maternel l'acte en lui-même annonce surtout une cascade de sensations. La pensée serait une preuve rationnelle de l'existence, mais la douleur en serait une physique, sensible. Comment puis-je me sentir bien si je ne ressens rien ? Le bonheur est-il rationnel ou émotionnel ? Est-il consubstantiel à l'âme ? Ou complètement dépendant du corps ? Le fumeur assume ce besoin de sentir le corps pour sentir l'âme et faire souffrir l'âme par le corps. Je souffre mais je sais que je suis vivant. C'est quand nous manquons d'une chose que son existence nous apparaît. C'est en mourant que nous nous sentons vivre. La liberté du fumeur est celle-ci : le droit d'affronter sa finitude, son caractère imparfait et indéfini. Dans une vie où l'emprise personnelle ne semble avait d'effet nulle part, la seule échappatoire est la mort. Mais renoncer absolument n'aurait aucun sens et ne serait que l'accentuation d'un sentiment d'impuissance et de domination de la part de la vie. Jouer avec le feu, jouer avec la mort suffisamment pour vivre et perturber les règles du jeu, montrer que rien n'est perdu ou gagné d'avance tel est le propos implicite du fumeur. Fumer tue. Mais le plus tragique dans le mouvement gigantesque de cette grande roue-lette russe, c'est le sort des flambeurs qui entraînent parfois les proches dans des dommages collatéraux sans eux-mêmes souffrir de séquelles. Fumer tue, mais ne tue pas toujours les fumeurs.

dimanche 23 octobre 2011

Sang et don

Le sang est notre fluide vital. Si il symbolise la vie, lorsqu'il se manifeste c'est qu'il témoigne d'une maladie, d'une blessure ou de la mort. C'est lui qui transporte l'énergie à travers nos organes, nos muscles, dans les moindres veines de notre corps, c'est aussi lui qui favorise la transmission intérieure de parasites, virus et autres éléments pathogènes. Le sang a toujours revêtu une image sacrée, symbole spirituel car très proche de l'idée de l'âme, de l'esprit, du souffle vital. Le sang visible, sorti du corps n'est jamais un très bon signe, ce n'est pas sa place. Les malaises provoqués par la vue du sang ne peuvent être d'ordre uniquement physique au sens restreint de la perception de la couleur particulière des globules, auquel cas la simple vision d'un rouge écarlate serait désagréable et anxiogène (est-ce le cas?). Nous associons inévitablement le sang à notre propre fragilité, notre propre finitude et c'est cette perspective qui nous fait peur. Pourtant nos capacités biologiques nous permettent de reconstituer celui-ci quand le manque n'est pas trop important.
Faire couler du sang dans beaucoup de traditions religieuses ou spirituelles, surtout anciennes, relève de cérémonies sacrées d'offrande à des puissances divines ou supérieures. Tout comme on peut imaginer des scènes de fanatiques allumés buvant le sang de victimes sacrifiées tels des vampires, le sang tient bel et bien le rôle d'énergie nécessaire et au delà de ça, d'énergie presque universelle. C'est un argument très convainquant contre les ignorants persuadés d'une différence raciale entre personnes de groupes ethniques très différents : nous avons tous le même sang. Lorsque le chrétien boit le sang du Christ il est sensé s'approprier un peu de sa bonté. Par extension au monde animal c'est aussi un critère de sympathie particulière pour les autres êtres qui saignent, nos cousins les mammifères contrairement à une indifférence envers les espèces plus petites qui ne déversent pas des litres de sang. Cette dualité vitale est plus que symbolique et l'universalité du liquide rouge qui parcourt tout notre corps nous permet aujourd'hui de nous unifier, d'être solidaires autrement que par les gestes, les paroles, les pensées mais véritablement par la chair, le corps.
Aujourd'hui les techniques médicales nous permettent un véritable partage de cette énergie vitale. Après un accident, lors d'une opération, le long d'une maladie, la recherche a montré que des milliers de vie peuvent être sauvées chaque jour. De la trophallaxie animale aux techniques respiratoires de réanimation, que ce soit de la nourriture ou de l'air l'individu connaît l'échange d'énergie. L'individu se construit par et dans l'autre, au sens figuré comme au sens propre. Donner son sang n'a aujourd'hui rien de mystique même si l'intention de l'acte se rapproche des origines sacrées : donner son sang c'est donner la vie, et donner la vie ne serait-ce pas là son sens ? Outre la figure poétique, en considérant que la finalité humaine est la simple conversation de son espèce, la transfusion se placerait quelques places derrière la naissance et le don d'organes. Transfuser n'est évidemment pas naturel au sens technique du terme, mais il est complètement justifié dans cette optique que nous venons d'évoquer.
Quel autre don pouvons-nous faire sans sentir un manque ? Toute la force de notre corps réside dans sa perpétuelle construction. Notre fluide est mouvement, instant, cycle constant. Liquide, il est avant toute chose simplement l'eau que nous buvons, cette même eau qui perce la roche et abreuve les arbres. Ainsi nous générons du sang et cette capacité permet au donneur comme au blessé, ou au malade, de se régénérer par la suite. Un don évoque le manque, l'amputation car il dépend de l'idée de propriété. Cela a du sens pour des objets inertes, dans lesquels nous voyons le temps, l'argent, l'énergie, le mérite insufflés dans la matière. Mais le paradoxe étonnant dans le don de sang réside dans son caractère impersonnel alors qu'il semblerait être le plus intime. En effet on peut voir cet acte comme un don d'une partie de soi alors que le sang est tout ce qu'il y a de plus universel (sans tenir compte des groupes sanguins). Il faudrait plutôt voir dans le don sanguin le caractère humble du partage absolu de l'énergie vitale. Comment le sang peut-il m'appartenir en propre si c'est le même pour tous ? Par analogie avec le soleil qui ne nous appartiendrait pas davantage, comment alors donner ce qui ne nous appartient pas ? De toute évidence ce n'est pas un acte anodin, mais ce n'est pas parce qu'il est si simple qu'il faut le déprécier, au delà de l'efficiente portée médicale c'est comme nous l'avons dit, l'expression même de la solidarité humaine.

mercredi 19 octobre 2011

De la calligraphie chinoise - 中国书法

La culture chinoise si particulière pour nous, occidentaux, l'est en de nombreux points. Un des premiers est la langue qu'elle soit parlée ou écrite. La particularité des caractères chinois (et des langues de la même famille) réside dans le système de représentation des concepts et idées qui sont directement représentées dans leurs formes écrites, totalement indépendantes du système de phonétique qui s'y rattache. Plus qu'un point anecdotique c'est véritablement là que réside toute la richesse de la langue de Lao Zi et de Kong Fu Zi (Confucius). Notre manière de penser, de voir, de concevoir si elle dépend au plus de notre manière de parler et d'écrire, au moins elle en est largement influencée. Apprendre le chinois (comme la plupart des langues par ailleurs) ne se résume pas simplement à l'apprentissage d'un système phonétique, graphique, d'une syntaxe et d'un vocabulaire mais il s'agit de s'approprier une logique, une vision, un rapport aux choses différents des nôtres et si une fois encore cela peut en faire la difficulté c'est aussi et surtout là tout l'intérêt...
Les idéogrammes sont donc des dessins, autrefois plus explicites, aujourd'hui stylisés qui sont formés de d'éléments, représentations symboliques de base qui suivant leurs combinaisons signifient telle idée ou tel concept. Il n'existe pas de lettres ni d'alphabet mais pour écrire les milliers de caractères dont cette langue est constituée, le chinois n'utilise que quelques points et traits élémentaires dans leur principe mais sur lesquels repose tout l'art et la difficulté de la calligraphie chinoise.
Des pictogrammes rupestres bruts, lourds qui figuraient le monde tel qu'il apparaissait, la langue chinoise s'est construite en associant des images, des concepts, des notions, des idées pour former les idéogrammes dont les lignes de plus en plus épurées, douces et rapides ont fini par former après de siècles les caractères utilisés aujourd'hui. Toutefois il serait faux de négliger la phonétique dans un système de communication tonal qui accorde énormément d'importance à la musicalité de la langue. Les sons ne sont pas directement transcrits par les idéo/phonogrammes mais sont fortement associés, à tel point que la chauve-souris traduite par le caractère est un porte bonheur car les deux caractères se prononcent de la même manière « fu ».
La calligraphie n'est pas le simple art d'écrire des mots avec une certaine qualité esthétique. C'est l'invocation de tous nos sens, de tout notre corps dans un mouvement, dans une dynamique particulière. Le pinceau du calligraphe ne se contente pas de transposer un langage, il développe un langage second, à travers la langue. De la même manière que nos gestes, nos expressions du visage peuvent trahir sinon traduire une intention, un désir caché, une attitude, le calligraphe apprend à lire et écrire au delà des mots, dans les formes, les lignes, l'espace de la feuille de papier. Dans le film Hero de Zhang Yimou, l'image poétique du guerrier trahi par son écriture n'est pas absurde, elle démontre de la véritable appropriation de l'art par l'artiste, car il s'agit bien de cela. L'artiste calligraphe qui se maîtrise, maîtrise son esprit puis son corps, sa main et son pinceau nous présente dans chaque œuvre sa vision du mot, du caractère. Il interprète véritablement l'idée qu'il développe en lui donnant de la force ou de la douceur, de la prestance ou de la légèreté en même temps que ses coups transmettent ses humeurs, ainsi il peut très bien écrire le caractère « force » avec beaucoup de douceur, dévoilant un aspect presque caché, mystique d'une idée mise à nue.
La calligraphie est souvent associée à la poésie, en effet comme nous venons de le voir ces deux disciplines s'appliquent à mettre en perspective les visions du monde qui pourraient n'être évidentes de prime abord, elle traite de symboles, c'est à dire que le sens dépasse l'image. L'apprentissage de la calligraphie est une longue entreprise personnelle qui repose sur de la discipline et de la patience et à mesure que l'artiste découvre la magie des mots il se découvre lui-même, par la technique qui ne se résume pas seulement à la tenue du pinceau mais aussi à la position du corps, à la respiration ; par la rigueur dans l'utilisation du matériel, la préparation de l'encre et l'organisation d'une séance qui s'apparente à un rituel. L'art du « trait » plus que l'art des mots est alors plus qu'une simple activité divertissante c'est une philosophie, une manière d'aborder le monde, l'existence qui peut s'inscrire dans la tradition taoïste ou confucianiste, dans tous les cas c'est un véritable reflet de la pensée chinoise.

samedi 15 octobre 2011

Manifestation

Comme la plupart des mots, manifestation accepte plusieurs champs d'application et celui qui m'intéresse ici est le plus évident, il nous fait descendre dans les rues de Paris à Athènes, en Chine, au Chili, en Afrique comme en Amérique. Nous savons tous ce qu'est une manifestation mais j'aimerais davantage réfléchir à l'engagement du manifestant et son rapport à l'opinion publique. Pour cela il est toujours intéressant d'élargir la vision que l'on peut avoir de ce terme. Quand une chose se manifeste, il sonne comme une évidence en soi, un fait quasiment indépendant de toute causalité, ce qui n'est évidemment qu'illusoire. Reprocher à quelqu'un de ne pas s'être manifesté rejette surtout la volonté d'implication à l'égard de l'autre. Si "se manifester" n'est pas manifester c'est déjà l'idée d'être présent, de se montrer, montrer que nous existons. Mais loin d'être une position passive sans pour autant de pas être pacifiste, la manifestation est un acte de dépassement. Ce n'est pas une révolution ni une révolte qui implique un retournement de situation, comme la longue marche métaphorique représentative c'est l'expression d'une volonté d'avancer.
Dans des nations démocratiques, la parole du peuple est primordiale. Le gouvernement doit avoir pour rôle d'accorder les lois avec la volonté générale. Quand peut-on alors connaître celle-ci ? Par les urnes, mais pas seulement. Une manifestation possède à la fois un caractère spontané mais qui peut être persistant, ouvrant sur la rue un espace politique problématique qui ne trouve pas de réponses par le vote. Spontanée, elle l'est car sont des choses qui ne peuvent attendre, et persistante car certaines questions semblent ne trouver aucune réponse.
Si la volonté générale est celle de tous et non de chacun, comment évaluer cette limite ? Quand devons-nous considérer les cris des manifestants comme les symptômes du malaise général ? Le problème n'est pas une simple question de quantité, de nombres, c'est une question de représentation. Ceux qui marchent dans la rue ne sont pas les seuls à vouloir un changement, mais ce sont ceux qui s'engagent à représenter, ce sont ceux qui ont la volonté de montrer. Montrer une qu'une partie d'une population ne se résume pas à elle seule, elle se tient avant tout comme porte-parole. Évidemment, plus le nombre est important et plus le poids médiatique et diplomatique l'est. Seulement si nous nous intéressons au choix de chacun dans la décision de manifester ou non il est clair que cet acte populaire rassemble autant qu'il distingue. Il distingue ceux qui font le choix de croire que c'est nécessaire et ceux qui pensent que c'est inutile ou que le problème évoqué n'est pas prioritaire. La manifestation offre la chance d'être dans une certaine mesure apolitisée tout en étant de toute évidence la plus politique. Cela signifie surtout que c'est l'occasion pour tous de s'exprimer en dehors d'une logique de partis, en dehors donc d'une logique de division tout en s'appuyant sur une prise de décision espérée. Celui qui ne manifeste pas par choix peut justifier par sa position contre, indifférente ou intérêt solidaire mais sans désir d'engagement. Nous nous demandons pourquoi les gens manifestent, mais pourquoi certains ne manifestent-ils pas ? Ce sont peut être les mêmes qui ne vont pas voter tout en ayant un avis, une opinion. L'espoir ? Est-ce ça qui manque ? C'est pourtant, nous le voyons encore, le désespoir qui pousse les gens hors de leurs maisons, c'est lui qui guide tout un peuple parfois même jusqu'à la guerre et pour certains la mort.
Nous avons acquis le privilège du vote, comme un droit. Nous avons acquis le privilège de revendiquer publiquement nos opinions par des manifestations. En ces temps tourmentés et à la veille d'une période politique décisive il est important de ne pas perdre d'espoir et si il viendrait à manquer, considérons que plus que des droits, ce sont des devoirs d'agir qui pourront relever nos attentes, révéler nos envies et surtout réveiller nos politiciens. Mais nous avons assez parlé, il est à présent temps de passer à l'action ! ...

samedi 1 octobre 2011

Procrastination

C'est déjà arrivé à n'importe lequel d'entre nous. Un matin on se lève, une journée commence. C'est un rendez-vous, une tâche ménagère, une échéance administrative... on peut décaler d'une heure, de plusieurs. Parfois on reporte au lendemain, en espérant que des conditions seront plus favorables. Parfois on se dit simplement que ça peut attendre et puis ce n'est qu'un mois plus tard qu'on envoie ce fichu papier que tel ou tel organisme nous réclamait. Certaines choses peuvent traîner des mois, voire des années avant de générer des problèmes, ce qui ne nous effraie pas plus que ça jusqu'au jour où tout éclate !
L'angoisse du temps. La peur du vide. D'où me vient cette manie de toujours tout reporter. Il a a toujours des moments, ces grands intervalles temporels où je suis libre, c'est à dire que les contraintes qui me sont habituellement imposées de l'extérieur c'est à moi seul de les mettre en place pour finalement, avec une autodiscipline plus ou moins indéfinie, me soumettre à ma propre volonté. Et cette volonté fait malheureusement trop souvent face à cette angoisse, cette abîme du temps qui passe malgré le silence, malgré l'apparente tranquillité d'un espace immobile.
Reporter dans le temps c'est comme rejeter dans l'espace : tenter d'éloigner l'objet de soi. Mais derrière la forme que peut prendre telle ou telle tâche l'objet évité peut être la conscience, la responsabilité, la nécessité. Ces valeurs si pesantes dont chacun essaie d'une manière ou d'une autre, à une certaine échelle de s'affranchir. Cette illusion, le fait de croire que reporter une échéance à plus tard équivaut à gagner un peu de liberté, est vite rattrapée par la réalité du cercle vicieux dans lequel je tombe à chaque fois que ce qui peut tout aussi bien s'apparenter à de la flemme prend des allures de considérations logiques et logistiques pour ne fournir qu'un alibi à ma conscience.
Ne rien s'imposer, est-ce vraiment être libre ? Pourtant l'absence de contrainte est déjà une contrainte. Peut-on alors être libre et la conscience tranquille ?
J'argumente souvent auprès de ma conscience l'idée que je peux avoir du temps libre en repoussant les activités obligatoires mais le poids du temps m'empêche paradoxalement de faire autre chose que ne rien faire, disons plutôt ne rien faire qui ne nécessite plus d'énergie ou de motivation que les choses que j'ai décidé de ne pas faire : ce serait sinon complètement insensé ! Hélas, ne rien faire est en soi une activité comme une autre à laquelle je ne peux échapper et je me retrouve toujours piégé par cette même angoisse qui ne cesse de me rappeler le temps que je suis en train de perdre. En effet ce qui n'est pas fait reste à faire et ce qui est fait n'est plus à faire, cet énoncé s'apparente à une tautologie mais en poussant le raisonnement plus loin je me décide toujours finalement en faveur de l'action, l'accomplissement de ceci ou cela avec la conviction que plus je passe mon temps à faire ce que je n'ai pas envie (sur le moment) de faire et plus vite je serai débarrassé de cette multitude d'échéances qui me tiraille ! Et là, le cercle recommence son cycle et je me demande ce que je vais bien pouvoir faire une fois que je n'aurai plus rien à faire. Toujours cette même raison, la peur du vide, l'angoisse de l'ennui. Et là c'est le comble, je n'ai pas envie de n'avoir rien à faire, et c'est donc pour ça que je ne fais rien. Qui a dit que ce n'était que de la flemme ?

mercredi 28 septembre 2011

Les réseaux sociaux - 2

Identité, Partage et Espace public.

Qui suis-je ? Je peux me poser cette question à moi même comme je peux poser la question aux autres. Pour chaque réponse je me trouverai face à une image de moi même car chacun me perçoit différemment autant que je perçois différemment chacun de ces autres. Qui suis-je ? Dois-je prendre en compte toutes ces images de moi et les synthétiser en ce que je peux appeler le moi ? On peut croire a priori d'une part que chaque aspect que les autres perçoivent de moi contient une part de vérité mais on peut aussi douter de la double fausse interprétation possible entre ce que l'autre crois que je suis et ce que je crois que l'autre crois que je suis. Lorsque j'entretiens un rapport, un contact avec quelqu'un j'adopte une posture, une attitude et j'emploie un langage particulier, spécifique à telle ou telle personne. Ce lien puisqu'il dépend des deux interlocuteurs représente chacun des deux dans le cadre précis de leur rapport l'un à l'autre. Cet interface s'enrichit au fil des rencontres de références culturelles, de repères chronologiques ou autres points d'échanges communs. Autrement dit avec chacun des interlocuteurs avec lequel on échange on s'appuie sur des concepts, des idées qui peuvent différer parce que telle ou telle référence culturelle n'aura pas été introduite dans cet interface dans le même contexte, et n'aura donc pas la même valeur ou encore moins la même signification.
En fait, d'une manière générale si la définition d'un mot est une acceptation commune par convention elle ne suffit pas à canaliser la multitude (infinie ?) de significations que chacun attribue à un concept en s'appuyant sur sa propre expérience. Ainsi quand je pense à plage je pense à une idée générale qui regroupe en fait toutes les expériences qui s'apparentent de près ou de loin à l'idée qui m'évoque le mot. Ce sont mes expériences physiques personnelles : les plages que j'ai pu voir, sur lesquelles j'ai posé mes pieds ; les expériences que l'on m'a rapportées par images et d'autres par récits que je me suis imaginées. Un lien social est renforcé quand, par l'expérience, deux personnes s'accordent sur la signification d'une ou plusieurs choses. Je construis l'image de moi même quand à travers l'autre je me trouve des appuis, des soutiens, des repères qui me permettent de cerner la nature de mon moi en supposant qu'il ressemble à celui de l'autre.
Que se passe-t-il dans un espace public ? Suis-je vraiment moi-même ? Face à une pluralité d'autres je montre un visage neutre dans le sens où j'essaie d'être le plus compréhensible par tout le monde en utilisant des idées, des codes, des concepts qui semblent admis et entendus par le sens commun. En un mot j'essaie d'être plus objectif que dans une conversation privée mais le problème se pose là où l'on comprend que montre forcément qui je suis. L'espace public peut se réduire à une personne, un interlocuteur informe qui tout comme n'importe qu'elle autre personne révèlerait une part de notre personnalité.
Avec l'utilisation des réseaux sociaux informatiques on assiste à un phénomène nouveau qui offre à chacun une part d'espace public dans laquelle il est libre de s'exprimer. Il ne faut pas croire que cet espace puisqu'il est personnel et accessible à tous est forcément privé. Il ne faut pas croire non plus qu'il soit complètement public. Dans la limite de la volonté personnelle on ne peut reprocher à quelqu'un d'afficher sa vie privée qui ne l'est plus dès lors qu'elle est partagée. Être libre dans un espace privé, dans un espace clos paraît insensé. La pudeur de certains leur fait voir dans la déclaration de telles ou telles vérités la transgression de règles morales ou sociales qui seraient implicites mais ces pseudo-règles de bonne conduite n'ont pas forcément plus de valeur dans l'espace public réel, physique : dans la rue ou dans la nature. La technologie dans ce cas ne fait que révéler des comportements inter-individuels déjà présents dans notre société.
Maintenant doit-on s'inquiéter sur l'effet inverse que cette technologie peut avoir sur les rapports sociaux qu'elle amplifie ? Il est légitime de se poser certaines questions. Contrairement à une conversation ordinaire, les yeux dans les yeux, l'interface informatique a l'inconvénient (mais aussi l'avantage qui constitue suivant le point de vue, le but) de garder des traces, des données qui forment une image de chacun. La question qui concerne la diffusion et le contrôle de ces données touche le problème de l'image publique qui persiste. Avant l'informatique, les médias papiers ou télévisuels pouvaient déjà modifier l'image des personnalités publiques (pour certains c'est même le but principal). Ont-elles pour autant perdues leurs vies privées ? Courons-nous ce risque à notre tour ? Quel risque ? Celui de dégrader l'image que les gens ont de nous ? En mettant de côté nos potentiels employeurs, en quoi cela peut-il affecter la vision de nos proches ?
Si je me construis à travers le regard des autres et surtout ceux que j'aime, alors qu'importe le regard des autres pourvu que l'image que je laisse à ceux qui comptent pour moi soit le reflet des rapports, des liens que j'entretiens avec eux.

dimanche 25 septembre 2011

Clichés de vacances

L'acte de photographier n'est pas anodin, c'est une prise de position, un jugement, une vision. Capter la lumière pour figer l'espace dans le temps ou le temps dans l'espace. Au delà du côté pratique et un peu narcissique des clichés populaires la question serait d'observer les sujets et les objets, qui prend quoi en photo et se demander pourquoi ? Et surtout se demander non pas pourquoi on prend telle ou telle chose en photo mais pourquoi on ne prend pas les autres ?
On évitera l'explication psychologique du surmoi au teint éclatant du vacancier ou de la vacancière moyen(ne) qui tente d'immortaliser tous les étés les plus belles facettes de son corps, ou encore les photos de groupes qui dans le même registre sont censées attester la force de liens d'amitiés.
Prendre une photo est une manière de s'approprier un lieu, un espace, ce que l'on voit et même si on ne figure pas sur l'image finale elle dépend de nous en tant qu'auteur de la prise de vue. Elle a une importance tant pour le sujet, l'objet, le monument, le paysage que pour l'auteur qui est représenté dans la proposition qu'il offre par un choix de mise en scène ou d'angle, de lumière.
Les clichés sont souvent la première preuve qu'on agite pour témoigner de la réussite d'un voyage et valent presque autant sinon plus que le récit seul. Les deux sont étroitement liés et les images servent de support au langage et à la mémoire de sorte que photographier est déjà construire un récit, écrire une histoire.
Cette histoire dont nous sommes le héros doit sortir du quotidien, de la banalité. Qui se prend en photo en train de bosser dans l'idée de raconter ses journées de boulot à ses amis le week-end ? En tant que metteur en scène et acteur principal le genre repose toujours sur la même trame joie et bonheur, décor onirique et ambiance décontractée. Il ne reste plus qu'à choisir les scènes, les figurants. Là commence alors le véritable rôle du photographe comme observateur et juge de la réalité qui l'entoure.
De quoi ai-je envie de me souvenir ? Qu'ai-je envie de montrer aux autres à mon retour ? Puisque je ne peux pas raconter toute l'histoire je dois me contenter d'en offrir un résumé, un condensé. Quatre heures de marche peuvent se réduire à un cliché qui sera vu pendant une poignée de secondes. Je dois donc interpréter et décider quels espaces et quels moments sont significatifs pour moi. Il y a pourtant il me semble toujours un léger décalage entre l'inconsciente signification qu'on veut mettre dans une photo et la recherche d'esthétique qui a pour but de magnifier la réalité. Pendant ces longs moments de trajet ou devant un petit détail ridicule en apparence, des fois le voyage investit entièrement sa dimension d'échappatoire et alors que je peux être envahi de tel ou tel sentiment la situation ou le lieu ne se prête pas forcément à un superbe cliché et à l'inverse je peux déambuler dans des villes et mitrailler des tas de monuments ou de façades sans pour autant ressentir davantage d'intérêt à ce moment précis.
Quand je me trouve face à un paysage, un décor, un monument et que je veux en partager le souvenir j'essaie de trouver l'angle qui saurait concentrer les aspects qui me marquent le plus. J'essaie de trouver ou le détail ou la manière qui capterait l'essence même du lieu ou de l'objet même si je peux me heurter au problème de savoir en quoi suis-je touché réellement par une chose ? Comment mon appareil peut-il retranscrire au mieux ce que je vois ? Ce sont ces secondes contraintes qui font des conditions de la prise de vue un véritable travail de réflexion même inconscient.
Il est facile de constater la singularité d'un lieu comme il est facile de photographier tout ce qui sort de l'ordinaire ou qui semble être significatif non plus pour soi mais pour une culture, un espace donné mais beaucoup de photos sont froides, manquent de vie et restent au final au rang de clichés muets. Il est plus difficile de retranscrire une ambiance, un idée, le sentiment de celui qui appuie sur le déclencheur. Il faut parfois attendre longtemps l'infime intervalle qui offre les conditions favorables à la prise qui saura saisir l'essence profonde d'un objet comme cette occasion peut-être seule et unique, inscrite dans la spontanéité quand le voyageur rencontre un visage, une expression, un regard, un sourire.
La photo de vacances est un symbole fort. Parce qu'elle s'oppose au vide de nos vies quotidiennes elle doit manifester d'une certaine réussite de bonheur. Elle doit casser avec la monotonie, l'image en elle même doit être enrichissante et donner envie de repartir. Je ne veux garder que les bons moments , les moments heureux par optimisme et un peu par naïveté. Mais rien n'est jamais tout aussi joyeux, positif, festif et pur que dans les albums photos.

jeudi 22 septembre 2011

Peine de mort


22 Septembre 2011. Troy Davis est exécuté.
Malheureusement encore de rigueur dans des pays démocratiques ou non, la peine de mort ne cessera de nous indigner que lorsqu'elle est cessera de faire des victimes. Bien que bannie dans les sociétés les plus développées elle est pourtant à l'image de relations humaines dégradées imprégnées de violence, de brutalité, de barbarisme.
La peine capitale comme toutes les autres lois repose sur la justice, à la différence près qu'aucun recours n'est possible une fois la sentence exécutée. Elle affirme donc implicitement le caractère parfait de la loi, de la justice. Et c'est dans un premier temps de cette idée même qu'il faut douter. Comment la justice peut-elle être parfaite ? Un jugement par définition est une appréciation par la raison de faits mis en relation dans une logique établie par le juge. Si cette logique était si transparente elle pourrait être interprétée par une machine. Ceci n'est pas possible du fait du caractère individuel et indéfini des actions et jugements de chacun. Puisque chacun agit et pense différemment, aucune machine ne saurait voir ou prévoir ce qu'il se passe dans la tête d'un homme. Ce même argument qui justifie la nécessité d'une personne morale comme juge rend cette dernière tout aussi fragile quant à l'exactitude ou l'objectivité des jugements qui ne peuvent être qu'idéales.
Seulement nos sociétés technologiques tendent vers l'ère binaire, manichéenne où tout est de plus en plus noir ou de plus en plus blanc. Et dans un contexte permanent de chaos les institutions se rassurent en croyant pouvoir prouver qu'elles maîtrisent des idées inatteignables. La justice n'existe pas au sens idéal du terme, les lois ne sont que les barrières permettant à la haine vengeresse de s'exprimer sous les traits hypocrites de la balance du bien et du mal.
La mort est le plus haut degré dans l'échelle de la violence. La mort nous choque car elle signe la fin du combat contre la paix seulement avant de crier à la mort il faut s'aviser d'éviter les moindres coups. Les films et séries banalisent les images de la torture, la cruauté jusqu'à parfois les défendre au nom encore une fois de la justice, cette fois-ci personnelle, comme avec Dexter le justicier-assassin. Les jeux vidéos permettent également de mettre en scène et placer au centre de l'action tout public pouvant alors exercer violence, force, meurtres par procuration toujours sous l'étiquette d'une quête quelconque contre le mal, les créatures de l'enfer ou des zombies dégénérés. Une deuxième question apparaît ici nécessaire : faut-il absolument prendre conscience de toute la potentialité destructrice de l'homme ? Plus explicitement faut-il tout montrer, toutes les réalités, les plus cruelles soient-elles au nom du droit de savoir, de transparence, au risque d'altérer les valeurs même attribuées à des actions graves mais qui se vulgarisent ?
Le rapport que nous entretenons avec les autres est le reflet du rapport à soi. La violence est-elle naturelle et nécessaire ? Est-elle l'expression d'une frustration engendrée par notre société opprimante,étouffante ? Nous pouvons supposer que d'une certaine manière nos actions violentes sont fortement liées à nos conditions sociétales. Ainsi, les médias pourraient apparaître comme un défouloir nécessaire, mais les images animées endossent à mon goût beaucoup trop les excuses et alibis que l'homme se donne pour ne pas admettre la réalité en face et se faire violence à lui même, par le sport, le travail ou la simple discipline personnelle. Non, nous sommes dans l'ère de l'oisiveté, de la fainéantise, du moindre effort pour au contraire succomber aux plaisirs paradoxaux du corps, de la table et des drogues. L'homme contemporain se détruit sans se faire violence. Il ne s'engage pas car ça demande trop d'énergie et ferme les yeux sur les problèmes qui ne le concernent pas. Seulement il oublie trop souvent que ne pas agir est agir inévitablement et que la passivité ou l'indifférence font trop souvent la différence.
Qu'elle qu'en soit son intensité, sa violence, toute énergie doit être maîtrisée et canalisée pour être efficace, utile, sinon elle n'est que vent soufflant dans le vide.