Le
chaos n'est pas une force démoniaque destructrice et malveillante.
C'est au contraire la capacité naturelle du monde à s'organiser de
lui-même. Le chaos est la réfutation d'un déterminisme fataliste
car il laisse la place au libre-arbitre tout comme il rejette l'idée
d'un monde entièrement libre, hasardeux et malléable. Le chaos est
d'une certaine manière proche du dao,
la célèbre voie de Lao Zi, car le chaos est à la fois l'ordre dans
le désordre et le désordre dans l'ordre. Le monde politique
n'échappe pas au chaos puisque ce dernier est systématique, universel.
Comprendre son essence c'est accepter le fait qu'au-delà des apparences,
malgré tous ses efforts, l'homme ne contrôle rien. Cela ne
l'empêche pour autant pas d'agir et c'est ce qui distingue cette philosophie de la position sceptique. Comment cela se traduit-il
concrètement ? C'est ce que nous allons voir.
La
politique est un milieu social qui réunit des personnes d'une
certaine catégorie que l'on appelle les politiciens
et qui font de la politique
cette activité qui consiste à prendre des décisions et gouverner
des institutions à plus ou moins grandes échelles. Depuis que la
politique existe, au moins depuis la Grèce antique, une expérience
humaine ( un ensemble de données, de faits, d'observations) dans le domaine s'est accumulée. Le mode d'organisation
(c'est bien là l'objet de notre question) s'est donc développé au
fil des siècles avec le but explicite de s'améliorer, de
progresser. Des erreurs passées, les politiciens ont toujours des
réponses, des explications, des promesses et croient que leurs
programmes vont changer les choses. Les sondages nous balancent
chaque semaine des chiffres pour nous rassurer et nous faire croire
que l'issue des élections est plus ou moins définie et que
l'histoire s'écrit au fur et à mesure sans retour possible. D'une certaine manière ce
sont les chiffres qui écrivent les intentions et non pas ce qui est
présenté. Mais le plus important est l'absence totale de contrôle
et de connaissance du résultat : le flou, le chaos !
Ne
soyons pas naïfs, nous ne pouvons pas savoir. Sans parler des
militants convaincus, parmi ceux qui iront voter, qui lit les
programmes ? qui les comprend ? Quels sont les critères de
choix d'un citoyen ? Quel est son outil de discrimination ?
La raison ? Sa capacité de projection dans un système
économique, social, politique hypothétique, illusoire ? En
partie, mais ce qui pousse la raison ce sont les passions, les
sentiments, les émotions. Oui, oui l'homme est l'animal rationnel,
certes mais à partir d'où et jusqu'à quel point ? Nous nous
obstinons à vouloir appliquer des explications, des raisonnements,
des prévisions à des événements pour en contenir le caractère
chaotique et instinctif qui nous gouverne tous.
Qui
avait prévu le 21 avril 2002 ? Dans ces cas là, certes, le chaos
peut se révéler destructeur et c'est une raison qui doit nous
pousser à en avoir une vision globale, totalisante mais pas
totalitaire. Le chaos est l'absence de contrôle par soi ou par
quelqu'un d'autre, mais à la fois par tous et personne. L'accepter
doit donc nous révéler l'opportunité de se détacher d'un
fatalisme politique qui dirait que tout est joué, tout en nous
rappelant l'importance de l'implication individuelle dans un système
total.
Les
sciences ne sont pas inutiles, mais seulement approximatives au-delà
d'un haut degré de précision. Ainsi tout système est
essentiellement chaotique, l'interprétation que nous pouvons en
faire nous donne l'illusion d'un contrôle. En politique comme en
météorologie, en astronomie nous pouvons avec une « certaine »
certitude (c'est-à-dire avec une confiance forte) prévoir des
événements avec des marges d'erreur. Ces marges d'erreur ne sont
pas à sous-estimer car c'est toujours d'elles, des imprécisions,
des imprévus que viennent les mauvaises ou les bonnes surprises.
Que va-t-il se passer ? Le chaos ne peut savoir mais l'avenir
nous le dira. Rien n'est joué, les petits ruisseaux font les grandes rivières. La somme des parties est plus grande que la totalité. Si le chaos est une brèche, il est l'interstice nécessaire et permanent qui rend toujours possible l'espoir...