mardi 1 novembre 2011

Poétique de la lettre

Si nous n'avons pas de Q c'est que C dans l'R du temps mais la question demeure : comment mettre les poings sur les I ? Faut-il prendre des gants au pied de la lettre ? A première vue elle ne paraît pas vivante, vide de sens, sans idée. Pure forme, ligne, courbe, point, espace figés. Elle n'a certes pas l'âme d'un idéogramme ou la dynamique d'un caractère arabe ou hindi mais la lettre romane n'est pas dépourvue d'une certaine poésie, d'une mystique.
Notre alphabet latin issu du grec est lui même issu du phénicien et les formes qui nous sont parvenues aujourd'hui sont inspirées de la nature. Chacune suit un mouvement, une direction qu'elle soit inscrite dans une verticalité, dépassant l’œil de part et d'autre ou bien plus fermée, tassée obligeant les brèves courbes à se replier sur elles-mêmes.
Chaque lettre possède sa forme, son mouvement propre qui n'est défini que par opposition aux autres, c'est ce qui lui permet d'être libre et matière à création à travers la calligraphie, la typographie ou sa forme urbaine dans les graffitis. Ainsi par exemple le O n'est pas une forme figée mais une norme, un ensemble de contraintes qui englobe une multitude de graphies : il peut être un cercle comme une ellipse, un disque ou même un point mais bien plus : dans l'écriture manuscrite on le retrouve avec une petite queue, sur un cadran digital il peut être carré et discontinu, il peut même à l'extrême disparaître derrière une forme, un symbole tel un visage, un soleil ou toute autre forme qui pourrait saisir l'essence de la lettre.
Cette liberté est primordiale et nous permet de déchiffrer les écritures manuelles propres à chacun. Pouvoir comprendre la psychologie d'un sujet à travers sa plume, comme nous l'évoquions plus tôt pour la calligraphie chinoise (voir article relatif), jusqu'à un certain point il est clair que chacun s'approprie les normes d'écriture et l'espace, les limites qu'offrent celles-ci dans l'interprétation des codes. L'écriture manuscrite n'est pas de la calligraphie, elle ne cherche pas l'idéal esthétique d'une lettre, une telle réflexion n'est pas engagée dans l'écriture quasiment mécanique de la main tenant un simple crayon. Au fond la simple écriture manuscrite consiste en la recherche et l'application des critères minimums assurant la discrimination des lettres les unes par rapport aux autres.
Si elle trouve toute sa liberté dans l'écriture manuscrite, la lettre est largement exploité comme symbole, portant les couleurs d'une marque, d'une institution, d'une idée. Dans les sciences, mathématiques ou physiques, la lettre peut porter à elle seule la quantité d'énergie électrique, la valeur d'un nombre définie ou non, par convention métaphorique nous accordons beaucoup de valeur à ce qui est à la base, élémentaire ! Nous retrouvons le « S » ou le « Z » bien connus comme signatures de nos héros et le « M » indique aussi bien le chanteur français, le métro comme la chaîne de restauration rapide américaine, selon des formes et couleurs différentes.
Si les lettres s'effacent généralement derrière les mots elles peuvent aussi bien les dépasser. Des acronymes fleurissantes aux gentilles charades en passant par l'affreux langage SMS (ironie du propos) les lettres s'émancipent de jour en jour.

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