Le rapport que l'homme entretient avec
l'animal tel qu'il est aujourd'hui n'est certainement pas le même
que celui qu'il avait quelques siècles plus tôt, encore moins celui
qu'il avait au début de son humanité.
L'homme s'est fait homme en même temps qu'il a fait l'animal, deux
concepts qui n'existeraient pas l'un sans l'autre. L'homme est ce
qu'il est, un être pensant qui n'est justement pas une roche, une
plante ou un animal. Et pourtant, dans une société qui semblerait
vouloir faire de l'homme une catégorie à part entière, les
personnifications, allégories, analogies et autres métaphores
confèrent aux animaux autant d'humanité qu'elles attribuent une
animalité aux hommes. L'image de l'animal à travers l'humain et
l'humain à travers l'animal est précisément ce sur quoi nous
pouvons remarquer qu'au fil des âges c'est une complémentarité que
nous proposons d'approfondir.
De l’Égypte ancienne à l'Inde, par
delà l'océan Atlantique dans la tradition amérindienne les
divinités sont animales. Le serpent à plumes Quetzalcoatl, Ganesh à
la tête d'éléphant, Anubis la tête de chacal. Le symbole animal
est très fort quelque soit la société, la culture. Très souvent
ce sont des formes anthropomorphes qui mêlent l'allure de l'homme
avec le visage d'un animal. Le visage, la tête est pour autant la
partie pensante de l'homme celle qui lui permet de voir, d'entendre,
de goûter, de parler c'est donc le siège de la plupart de ses
qualités qui sont censées faire de lui un homme, différent de
l'animal et pourtant c'est cette partie qui est animale dans la
symbolique divine ou mythologique. Nous retrouvons de nombreuses
chimères, tels les centaures ou minotaures qui associent les
qualités de l'homme avec celles de l'animal, avec l'idée de la
réincarnation dans certaines croyances l'animal ne devient sacré
que parce qu'il renferme potentiellement l'âme d'un humain.
Avec le christianisme le dieu prend le
visage de l'homme et l'homme prend le pouvoir sur le règle animal,
Noé se pose comme sauveur de l'humanité et de la terre entière, et
la mission de l'homme est de garder le jardin et protéger les
animaux. L'homme s'élève peu à peu, il s'émancipe et se place au
dessus de tout, et si à la Renaissance, les fables de La Fontaine
sont connues pour leur mise en scène d'animaux qui représentent le
genre humain, c'est avant tout pour accentuer des vices moraux que
l'homme ne peut envier à l'animal si bien que beaucoup d'expressions
dérivent de cette analogie... et la confusion avec le genre animal
se développe quand cela arrange l'humain, ce qui nous fait arriver
aux fantasmes de certaines créatures imaginaires comme les vampires,
les loups-garous montrent l'animalité d'hommes qui n'en sont plus
vraiment, à la fois des surhommes et des sous-hommes.
Nous retrouvons toujours la même
symbolique chez Walt Disney avec une visée pédagogique, ludique
mais malheureusement naïve. Quelle vérité se cache derrière la
dialectique homme et animal que nous vendent les studios
hollywoodiens ? Toujours cette même seule vérité hypocrite du
chasseur sans cœur ou du citadin pollueur ignorant. Ce n'est pas
faux. Mais ce n'est qu'une infime partie de la réalité et cette
gigantesque hypocrisie prend toute son ampleur avec la nauséabonde
publicité que l'on nous matraque à tout va. Les bêtes sont mises
en scène sous des traits humains pour nous vendre des produits pour
lesquels ils sont dominés, exploités, torturés. Tout ce que le
commercial a à faire est mettre le visage souriant de l'animal sur
son produit et voilà le consommateur rassuré ! Ce qui est
absurde est cette décrédibilisation du règne animal. D'abord on
lui donne les traits de l'homme en les exagérant un maximum, ce qui
le ridiculise. Et cette image abaissante marque les esprits dans
lesquels se forge petit à petit l'idée contraire par laquelle toute
ressemblance de l'animal à l'homme n'est que pure fiction, absurde
et simplement distrayante. Voilà la triste image que l'humanité
construit aujourd'hui : l'animal est un produit de consommation,
un objet de distraction. Plus l'homme maîtrise et domine et plus il
réalise son fantasme de Dieu, car c'est dans sa nature, le roi est
mort, vive le roi. Empressons-nous de le tuer pour prendre sa place.
Le pire dans tout ça ? La soif de pouvoir tellement immense
que l'homme en oublie sa propre condition et ironiquement ne se
considère lui-même non plus comme un humain mais avec le reste du
vivant comme de simples outils nécessaires à son propre désir :
des bêtes.