Qu'on
écoute Protagoras ou Pythagore et bien d'autres, l'observation de
l'homme et son monde et la tentative de compréhension de celui-ci
s'appuie sur sa mesure. Les nombres si anodins soient-ils sont les
outils que l'homme a inventé pour cela. Que serait la technique sans
les mathématiques et la géométrie qui nous permet de tracer
points, lignes, courbes, surfaces et volumes ? Bien que les
origines du compagnonnage soient quelque fois mises en doute, les
dates importent peu. La maîtrise du trait, du geste n'a pu se faire
qu'avec la maîtrise des nombres et l'évolution des techniques de
calculs et de tracés. Les nombres ont toujours fasciné l'homme
parce qu'ils sont cette impression d'être à la fois dans toutes les
choses, comme entités régulatrices alors qu'ils n'ont aucune
réalité propre. Les nombres et leurs pouvoirs sont souvent associés
au divin sans l'être forcément, la trinité qui peut se rapporter
aux pères fondateurs du compagnonnage, les éléments (trois chez
les celtiques, quatre chez les grecs, cinq chez les chinois...) le
chiffre sept encore que nous retrouvons dans beaucoup de mythes et
contes, et qui a son importance chez les compagnons. Sans oublier les
deux chiffres indéfinis grecs π et φ
qui servent à tracer des figures géométriques et définir
les proportions idéales.
Si
l'homme est à la mesure de toute chose comme le disait Protagoras
les œuvres qu'il laisse à travers le temps sont la preuve qu'il est
malgré ça sans cesse en recherche de proportions dans la beauté,
et chercher à dépasser sa finitude par la réalisation d'ouvrages
dépassant sa taille et dépassant son époque. Les gratte-ciels
d'aujourd'hui sont les cathédrales d'antan, manifestants le désir
d'aller toujours plus loin, plus haut. Les pyramides restent
aujourd'hui encore un mystère de construction, mais les Égyptiens ne
détiennent pas le monopole d'ingéniosité dans ce domaine, d’impressionnants temples de sépultures taillés à flanc des
montagnes témoignent dans la cordillère des Andes de techniques
tout aussi remarquables, sans parler des patrimoines amérindiens, ou
des temples et édifices de l'Antiquité...
Le
compagnonnage se revendique des bâtisseurs, et c'est évidemment sur
toute cette tradition que nous avons évoquée qu'il repose. Bien sûr
la forme que cette institution ouvrière a aujourd'hui est trop
récente pour pouvoir affirmer exister ainsi depuis des millénaires,
mais l'esprit lui est resté dans la lignée des hommes qui cherchent
à faire les choses selon les règles de l'art, selon les proportions
justes avec une certaine foi dans les règles, les nombres qui sont
les seuls repères invariants au cours des siècles. Car si les
formes changent, s’aplatissent, s'affinent, se courbent ou
s'effacent sous une matière qui semble devenir de plus en plus
artificielle, morne et morte, froide derrière des machines sans âme,
ce qui ne peut changer est cet œil humain qui distingue les moindres
erreurs de grandeur, de longueur, de couleur... Cela peut paraître
naïf mais tant qu'un triangle restera un polygone à trois côtés
et que 2 et 2 feront 4, n'en déplaise à M. Descartes, alors l'homme
aura toute sa place dans le travail de la matière, l'artisan peut
faire confiance aux nombres.
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