Qui suis-je ? Je peux me poser cette
question à moi même comme je peux poser la question aux autres.
Pour chaque réponse je me trouverai face à une image de moi même
car chacun me perçoit différemment autant que je perçois
différemment chacun de ces autres.
Qui suis-je ? Dois-je prendre en compte toutes ces images de moi et
les synthétiser en ce que je peux appeler le moi
? On peut croire a priori d'une part que chaque aspect que les autres
perçoivent de moi contient une part de vérité mais on peut aussi
douter de la double fausse interprétation possible entre ce que
l'autre crois que je suis et ce que je crois que l'autre crois que je
suis. Lorsque j'entretiens un rapport, un contact avec quelqu'un
j'adopte une posture, une attitude et j'emploie un langage
particulier, spécifique à telle ou telle personne. Ce lien
puisqu'il dépend des deux interlocuteurs représente chacun des deux
dans le cadre précis de leur rapport l'un à l'autre. Cet interface
s'enrichit au fil des rencontres de références culturelles, de
repères chronologiques ou autres points d'échanges communs.
Autrement dit avec chacun des interlocuteurs avec lequel on échange
on s'appuie sur des concepts, des idées qui peuvent différer parce
que telle ou telle référence culturelle n'aura pas été introduite
dans cet interface
dans le même contexte, et n'aura donc pas la même valeur ou encore
moins la même signification.
En
fait, d'une manière générale si la définition d'un mot est une
acceptation commune par convention elle ne suffit pas à canaliser la
multitude (infinie ?) de significations que chacun attribue à un
concept en s'appuyant sur sa propre expérience. Ainsi quand je pense
à plage je pense à
une idée générale qui regroupe en fait toutes les expériences qui
s'apparentent de près ou de loin à l'idée qui m'évoque le mot. Ce
sont mes expériences physiques personnelles : les plages que j'ai pu
voir, sur lesquelles j'ai posé mes pieds ; les expériences que
l'on m'a rapportées par images et d'autres par récits que je me
suis imaginées. Un
lien social est renforcé quand, par l'expérience, deux personnes
s'accordent sur la signification d'une ou plusieurs choses. Je
construis l'image de moi même quand à travers l'autre je me trouve
des appuis, des soutiens, des repères qui me permettent de cerner la
nature de mon moi en
supposant qu'il ressemble à celui de l'autre.
Que se
passe-t-il dans un espace public ? Suis-je vraiment moi-même ? Face
à une pluralité d'autres
je montre un visage neutre
dans le sens où j'essaie d'être le plus compréhensible par tout le
monde en utilisant des idées, des codes, des concepts qui semblent
admis et entendus par le sens commun. En un mot j'essaie d'être plus
objectif que dans une
conversation privée mais le problème se pose là où l'on comprend
que montre forcément qui
je suis. L'espace public peut se réduire à une personne, un
interlocuteur informe qui tout comme n'importe qu'elle autre personne
révèlerait une part de notre personnalité.
Avec
l'utilisation des réseaux sociaux informatiques on assiste à un
phénomène nouveau qui offre à chacun une part d'espace public dans
laquelle il est libre de s'exprimer. Il ne faut pas croire que cet
espace puisqu'il est personnel et accessible à tous est forcément
privé. Il ne faut pas croire non plus qu'il soit complètement
public. Dans la limite de la volonté personnelle on ne peut
reprocher à quelqu'un d'afficher sa vie privée
qui ne l'est plus dès lors qu'elle est partagée. Être libre dans
un espace privé, dans un espace clos paraît insensé. La pudeur de
certains leur fait voir dans la déclaration de telles ou telles
vérités la transgression de règles morales ou sociales qui
seraient implicites mais ces pseudo-règles de bonne conduite n'ont
pas forcément plus de valeur dans l'espace public réel,
physique : dans la rue ou dans la nature. La technologie dans ce cas
ne fait que révéler des comportements inter-individuels déjà
présents dans notre société.
Maintenant
doit-on s'inquiéter sur l'effet inverse que cette technologie peut
avoir sur les rapports sociaux qu'elle amplifie ? Il est légitime de
se poser certaines questions. Contrairement à une conversation
ordinaire, les yeux dans les yeux, l'interface informatique a
l'inconvénient (mais aussi l'avantage qui constitue suivant le point
de vue, le but) de garder des traces, des données qui forment une
image de chacun. La
question qui concerne la diffusion et le contrôle de ces données
touche le problème de l'image publique
qui persiste. Avant l'informatique, les médias papiers ou
télévisuels pouvaient déjà modifier l'image des personnalités
publiques (pour certains c'est même le but principal). Ont-elles
pour autant perdues leurs vies privées ? Courons-nous ce risque à
notre tour ? Quel risque ? Celui de dégrader l'image
que les gens ont de nous ? En mettant de côté nos potentiels
employeurs, en quoi cela peut-il affecter la vision de nos proches ?
Si je
me construis à travers le regard des autres
et surtout ceux que j'aime, alors qu'importe le regard des autres
pourvu que l'image que
je laisse à ceux qui comptent pour moi soit le reflet des rapports,
des liens que j'entretiens avec eux.