On évitera l'explication psychologique
du surmoi au teint éclatant du vacancier ou de la vacancière
moyen(ne) qui tente d'immortaliser tous les étés les plus belles
facettes de son corps, ou encore les photos de groupes qui dans le
même registre sont censées attester la force de liens d'amitiés.
Prendre une photo est une
manière de s'approprier un lieu, un espace, ce que l'on voit et même
si on ne figure pas sur l'image finale elle dépend de nous en tant
qu'auteur de la prise de vue. Elle a une importance tant pour le
sujet, l'objet, le monument, le paysage que pour l'auteur qui est
représenté dans la proposition qu'il offre par un choix de mise en
scène ou d'angle, de lumière.
Les clichés sont souvent la première
preuve qu'on agite pour témoigner de la réussite d'un voyage et
valent presque autant sinon plus que le récit seul. Les deux sont
étroitement liés et les images servent de support au langage et à
la mémoire de sorte que photographier est déjà construire un
récit, écrire une histoire.
Cette histoire dont nous sommes le
héros doit sortir du quotidien, de la banalité. Qui se prend en
photo en train de bosser dans l'idée de raconter ses journées de
boulot à ses amis le week-end ? En tant que metteur en scène et
acteur principal le genre repose toujours sur la même trame joie et
bonheur, décor onirique et ambiance décontractée. Il ne reste plus
qu'à choisir les scènes, les figurants. Là commence alors le
véritable rôle du photographe comme observateur et juge de la
réalité qui l'entoure.
De quoi ai-je envie de me souvenir ?
Qu'ai-je envie de montrer aux autres à mon retour ? Puisque je ne
peux pas raconter toute l'histoire je dois me contenter d'en offrir
un résumé, un condensé. Quatre heures de marche peuvent se réduire
à un cliché qui sera vu pendant une poignée de secondes. Je dois
donc interpréter et décider quels espaces et quels moments sont
significatifs pour moi. Il y a pourtant il me semble toujours un
léger décalage entre l'inconsciente signification qu'on veut mettre
dans une photo et la recherche d'esthétique qui a pour but de
magnifier la réalité. Pendant ces longs moments de trajet ou devant
un petit détail ridicule en apparence, des fois le voyage investit
entièrement sa dimension d'échappatoire et alors que je peux être
envahi de tel ou tel sentiment la situation ou le lieu ne se prête
pas forcément à un superbe cliché et à l'inverse je peux
déambuler dans des villes et mitrailler des tas de monuments ou de
façades sans pour autant ressentir davantage d'intérêt à ce
moment précis.
Quand je me trouve face à un paysage,
un décor, un monument et que je veux en partager le souvenir
j'essaie de trouver l'angle qui saurait concentrer les aspects qui me
marquent le plus. J'essaie de trouver ou le détail ou la manière
qui capterait l'essence même du lieu ou de l'objet même si je peux
me heurter au problème de savoir en quoi suis-je touché réellement
par une chose ? Comment mon appareil peut-il retranscrire au mieux ce
que je vois ? Ce sont ces secondes contraintes qui font des
conditions de la prise de vue un véritable travail de réflexion
même inconscient.
Il est facile de constater la
singularité d'un lieu comme il est facile de photographier tout ce
qui sort de l'ordinaire ou qui semble être significatif non plus
pour soi mais pour une culture, un espace donné mais beaucoup de
photos sont froides, manquent de vie et restent au final au rang de
clichés muets. Il est plus difficile de retranscrire une ambiance,
un idée, le sentiment de celui qui appuie sur le déclencheur. Il
faut parfois attendre longtemps l'infime intervalle qui offre les
conditions favorables à la prise qui saura saisir l'essence
profonde d'un objet comme cette occasion peut-être seule et unique,
inscrite dans la spontanéité quand le voyageur rencontre un visage,
une expression, un regard, un sourire.
La photo de vacances est un symbole
fort. Parce qu'elle s'oppose au vide de nos vies quotidiennes elle
doit manifester d'une certaine réussite de bonheur. Elle doit casser
avec la monotonie, l'image en elle même doit être enrichissante et
donner envie de repartir. Je ne veux garder que les bons moments ,
les moments heureux par optimisme et un peu par naïveté. Mais rien
n'est jamais tout aussi joyeux, positif, festif et pur que dans les
albums photos.
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