vendredi 26 octobre 2012

Vrais et faux déchets. Considérations sur la merde.

"Au cours d'une transformation quelconque d'un système fermé, la variation de son énergie est égale à la quantité d'énergie échangée avec le milieu extérieur, sous forme de chaleur et sous forme de travail. " Premier principe de thermodynamique qui énonce la conservation d'énergie et n'est pas sans rappeler la célèbre phrase de Lavoisier "Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme".

L'écologie en tant qu'elle s'applique à l'harmonie d'un système clos, la biosphère, est trop souvent réduite aux gestes citoyens quotidiens et le recyclage, s'il est nécessaire, est loin d'être suffisant. La conscience du monde clos que représente la Terre est surtout celle d'un monde fini. Les ressources fossiles en sont l'exemple flagrant. Mais le modèle de cette sphère hermétique a ses limites. Les efforts de recyclage ne peuvent contrebalancer le gaspillage énergétique de nos sociétés modernes. Si la Terre fonctionne sur un schéma fermé, le trou dans la couche d'ozone symbolise assez bien la brèche qu'il nous faut combler pour arrêter cette énergie de fuir. Cela reste une image. Avec toute l'énergie disponible nous ne sommes pas capables de nous organiser pour exploiter les "déchets verts" et arrêter de produire les "véritables déchets" inutiles et dangereux.

Dans l'idéal si tout se transforme, la définition de "déchet" n'est plus alors la description ontologique d'objets dont l'essence est d'être une entité absolue se référant à l'idée de déchet mais plutôt un concept d'état applicable à n'importe quel objet matériel. Mais si rien ne se crée vraiment et que tout est changement, transformation permanente, est-il pertinent de définir un état qui est applicable à n'importe quel objet, n'importe qu'elle moment de vie ? Une telle conception doit nous faire trancher entre l'idée que tous les objets sont des déchets ou aucun objet n'est déchet. Il faut alors différencier les objets qui sont des produits d'une transformation mais pas encore des déchets car on en fait un certain usage. Ainsi on peut dire d'un objet que c'est un "déchet" quand il n'est plus utilisé ou pas encore "réutilisé" ou recyclé. S'il est destiné a être recyclé ou réutilisé, en quoi est-il différend d'un simple produit de transformation "brut" ou "neuf" hormis son état d'usure ? Rien en tant qu'il est matière première ou objet d'usage en puissance. Les seuls vrais déchets qui restent sont alors les objets qui ne peuvent et ne pourront jamais plus être utilisés. Pourtant, rien ne se perd, tout se transforme. En est-on bien sûr ? L'industrie du nucléaire a posé les limites de ce vieil adage et nous montre au terme de cette réflexion que les produits du nucléaire, les "déchets radioactifs" font partie de cette classe d'objet qui constitue les véritables "déchets", ce dont on ne peut rien faire, qu'on ne peut qu'enfouir, cacher, rejeter sur les plages africaines ou dans l'espace intersidéral, loin de soi, loin de notre conscience.



Pas besoin d'aller chercher bien loin, nos corps sont les premières "machines biologiques" productrices de "déchets". La production de déchets est la base essentielle à la vie. L'immense interdépendance de tous les êtres vivants ne pourrait exister sans ces surplus propres à chaque espèce et qui nous lient les uns aux autres. Si la merde est déconsidérée aujourd'hui c'est qu'elle porte l'image de ce qui est rejeté comme ce qui est inutile, superflu, mauvais. Mais ce qui est mauvais pour soi n'est pas mauvais pour l'autre. Le jardinier le sait plus que quiconque, la merde est un joyau, une nécessité, un trésor pour la terre. Les plantes, les animaux ingèrent et rejettent en permanence de la matière. D'une manière analogue la merde n'a pas d'essence, elle est un stade de décomposition ou de recomposition, elle est un état d'avancement biologique. Nous ne sommes tous que des merdes en puissance. De là à affirmer une admiration une attirance scatophile pour les excréments, non. Mais le dégoût n'est pas pure sensibilité, il est produit intelligible également. La conscience de la nécessité de la merde doit faire partie de la conscience écologique. La sagesse bouddhiste nous apprend d'une manière plus poétique que la fleur de nénuphar pour éclore à la surface de l'eau doit plonger ses racines dans la boue.

La poubelle joue un rôle important. Elle signale, signifie le déchet. Elle cloisonne, compartimente. Elle protège, délimite. Mais notre société capitaliste basée sur la surproduction peut se permettre de faire de ce qu'elle veut des déchets qui n'en sont pas. Le cycle alimentaire de la grosse distribution et les règles rigides qui les conditionnent voient rejeter chaque jour des tonnes et des tonnes de nourriture comestible. Une minute ils sont en rayon en tant que produits commercialisables et la seconde qui suit ils prennent le statut de déchets par le fait de se retrouver dans des containers, des poubelles, des bacs... Là encore l'expérience montre à quel point ce qui est rejeté a de la valeur. Les "freegan" comme certains les appellent ont compris le gâchis et l'importance qui est liée à la lutte contre. Oui, de plus en plus de personnes se nourrissent exclusivement de ce qu'ils trouvent dans les poubelles qui ne sont qu'une enveloppe arbitraire qui détermine (d'un point de vue du langage uniquement) ce qu'il y a dedans.

Contrairement à ce que la société de l'obsolescence voudrait nous faire croire, les objets qui ne sont plus utilisés peuvent encore être utilisables, et le troc de vêtements en est la preuve. L'aboutissement de la prise de conscience d'une nouvelle valeur des objets peut se voir à travers l'émergence des zones de gratuité, espaces ouverts où les objets se détachent de la propriété, de la valeur marchande et où l'usage et la valeur pragmatique prévaut. On voudrait nous faire croire que la société moderne a aboutit au recyclage mais il en a toujours été ainsi. Ce que la monstrueuse machine a bel et bien engendré c'est, depuis le siècle dernier, ces objets qui sortent du cycle de consommation, qui s'accumulent dans la nature pour la dégrader. S'il peut se vanter de trouver des solutions, l'humain ne devrait pas oublier qu'il est surtout l'origine du problème et si on peut toujours atténuer les symptômes, tant qu'on attaque pas la maladie on ne fait que repousser l'échéance de la déchéance.

Industrie nucléaire. Demi-vie du plutonium : 24.000 ans.

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