lundi 29 octobre 2012

Lettre ouverte sur le radicalisme.

Tu me dis radical et je m'en porte bien. Radicalisme, radicalité, radical et radis. La racine. Le retour aux sources, aux fondements. Décroissance comme radicalisme ? Effectivement, il n'y a pas de mal à vouloir renouer avec l'essentiel, le pourquoi du comment. A quoi ça sert ? Pourquoi sommes-nous là ? L'organisation de la vie politique, pour qui ? Pour quoi ?
Toi le passif, tu te dis pacifiste et citoyen. Tu crois profiter pleinement de tes droits et accomplir pleinement tes devoirs en allant voter. Tu crois comme moi à l'idéal démocratique mais tu te satisfais de sa mise en œuvre actuelle. Tu te dis parfois révolté mais tu ne fais rien d'autre qu'exprimer un désaccord. Tu penses que la démocratie se résume à la liberté d'expression et au vote populaire. Tu veux croire encore que les hommes politiques veulent et peuvent agir pour le bien du peuple. Lors des repas de famille ou au café avec les collègues tu répètes mécaniquement que "de toute façon c'est la monnaie qui dirige le monde" et même si tu y crois au fond de toi tu préfères ne pas y penser.

Tu vois les révolutions arabes, les émeutes européennes et tu te dis que le monde va mal mais qu'il ne peut en être autrement, et ensuite tu oses affubler les personnes qui réagissent, qui se prennent en main pour des radicaux pessimistes. Tu n'es pas vraiment capable de prendre une décision alors tu te contentes de suivre la masse, car l'opinion majoritaire a toujours été pour toi la garantie d'une vérité, la sécurité. Il est toujours plus facile de se dire que ça ne nous arrivera pas à nous, que deux cas similaires ne sont pourtant pas comparables...
Le pessimisme manipule les gens comme toi. Le radicalisme hante les esprits comme le tien. Le pacifisme se réduit à une passivité et la passivité en absence même de décision. Statu quo. Attendons de voir ce qui se passe, ça ne peut pas être pire. Vous êtes pathétiques dans votre confiance naïve dans le politique, nous sommes optimistes dans la construction de notre politique. Vous êtes pessimistes dans le refus d'agir, dans le refus d'imagination, dans le délaissement de l'action à ceux qui détiennent et ne veulent lâcher le pouvoir. Vous êtes radicaux, de l'autre pôle de la politique. L'axe autour duquel le système tournait jusqu'ici. Votre radicalité s'exprime travers la passivité politique, le délaissement. Vous êtes autant radicaux quand vous ne faites rien, assis devant votre télé à maugréer contre le gouvernement, la finance, la crise, la dette. L'immobilité est souvent associée poétiquement à la sérénité, à la sagesse mais la vôtre est symptôme de folie, d'absence de repères ou déni de la réalité. Cette folie est compensée par l'occupation consumériste, le loisir, le plaisir qui doivent nous faire oublier tout ce bordel dehors.
Tu ne cesses de répéter qu'il faut agir, mais pas comme ça, de manière plus démocratique, de manière moins radicale mais tu sais au fond de toi que c'est pour te donner bonne conscience, pour justifier ton inaction. Parce que tu sais très bien comme moi que donner des sous à une ONG n'est bon qu'à donner bonne conscience au passif. Parce que tu sais que dans cette société de violence d'état le pacifisme est non seulement inefficace mais contreproductif. Sans une volonté affichée et affirmée la détermination politique d'un groupe ne peut être prise au sérieux. Alors que faire ? Existe-t-il vraiment un idéal juste milieu entre l'immobilisme généralisé et l'agitation organisée parcellaire ? Comment juger des effets ? En quoi une forme de radicalité d'engagement est-elle plus à rejeter qu'une autre ?

Il ne faut pas croire qu'il suffise d'appuyer
sur un bouton pour que tout s'arrête ou
que tout recommence,
l'action n'est pas si simple,
le train est en marche.

Nous allons tous dans la même direction, dans le même sens, vers le même but. Certains, en première ligne, ont une vision directe ou rapprochée, d'autres ne voient que la masse, la foule à laquelle ils appartiennent. Certains suivent, d'autres précèdent, sans mener. Quel signe te feras décider d'aller de l'avant ? Crois-tu qu'en préservant tes petits acquis, ton boulot, ton expérience professionnelle, ta petite épargne, crois-tu vraiment que ça te rendra moins vulnérable quand on sera tous dans la merde ?
Tu me dis radical et je comprends ton interrogation. L'action que je mène n'est-elle pas extrême ? Est-elle réfléchie ? Est-elle légitime ? J'ai rien à cacher quand je m'affirme prôner une radicalité comme mode de vie et engagement politique. Je n'ai rien à cacher quand j'ose aujourd'hui me positionner contre le capitalisme, la société de production à outrance, le nucléaire, le faux écologisme, la société d'hédonisme aveuglée. Suis-je seul à penser les travers d'un monde en ruine ? Ce qui nous différencie et ce qui me vaut peut-être aujourd'hui la désignation de "radical" est cette volonté viscérale de mettre mes pensées en pratique, de vivre en accord, en harmonie avec mes idées. Alors peut-être est-ce une forme d'anxiété, une angoisse profonde, la peur du vide, le refus de l'imperfection. Changer le monde commence par se changer soi-même, et les donneurs de leçons aux cravates bien serrées devraient y réfléchir. Radicalité d'action rime alors pour moi avec cohérence. Refuser les incohérences d'un mode de vie ne suffit plus alors en parole, mais aboutit à un véritable changement. Car nous sommes l'Histoire, cette progression d'événements qui ne s'arrête pas au présent. L'Histoire n'est pas le passé, elle s'écrit dans le présent et s'inscrit dans le futur. Certains se contentent de la regarder se faire à travers leur petit écran cathodique ou leur grand écran plasma et d'autres descendent dans la rue, vont à la rencontre d'autres acteurs. Vivre en dehors de la ville, ne pas manger de viande, s'éloigner de la dépendance technologique, bâtir d'autres formes de vie sociale.

Les rois du monde cessent de nous répéter les mains dans les poches qu'il est temps d'agir, alors j'agis. C'est une dialectique perpétuelle, un combat sans fin, l'équilibre, l'harmonie n'est qu'un état et non l'essence de choses. C'est une lutte permanente, une opposition de forces. Être radical c'est alors prendre part à la bataille, choisir son côté, son camp. Mais on sait combien il t'est difficile de choisir, de décider. A cela s'ajoute le conflit entre l'éloge de la raison porté par l'esprit cartésien tellement vanté et l'indéniable force émotionnelle qui est le véritable moteur de l'humain. Qui écouter ?
On peut être pacifiste, vouloir la paix et ne pas être passif mais actif. Or aujourd'hui même si la pensée commence à se dégeler, l'action est montrée du doigt, critiquée et au grand paradoxe de la démocratie on refuse au peuple son droit à participer aux forces, son droit à faire partie du pouvoir, l'exercer d'une manière au lieu de le subir.

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