Les mots nous servent à décrire les choses telles qu'elles sont, ou
plutôt telles qu'elles nous apparaissent. Mais ces mêmes mots,
s'ils ont le pouvoir de révéler une réalité, peuvent transformer
la vision que nous avons des choses. Ainsi l'usage d'un terme à
répétition peut s'inscrire dans nos consciences pour masquer les
vérités par une illusion d'abus de langage.
Le développement économique, scientifique, technologique,
politique de notre société marque clairement la direction d'un
désir humain d'aller toujours de l'avant. Être performant,
s'inscrire dans une démarche de progrès constant et tendre vers un
idéal de perfection. Vivre mieux est un objectif sur lequel tout le
monde s'accordera à dire qu'il est le principal. Dans notre société
économique cette envie se traduit par l'idée de gagner plus
d'argent et d'en dépenser moins.
Si
un mot existe, c'est qu'il recouvre une certaine réalité. Il
développe un concept qui englobe des actions, des systèmes
concrets, des idées qui existent. L'abus de langage que j'aimerais
dénoncer ici concerne l'utilisation d'un mot, non pas pour désigner
la réalité qu'il recouvre mais pour recouvrir la réalité qu'il
désigne. Ce serait un peu comme changer l'étiquette d'un produit
pour nous induire en erreur. Ce mot, ce terme, ce concept est au cœur
de l'économie aujourd'hui puisque c'est l'idée de gratuité.
Argent,
trop cher, la vie n'a pas de prix, mais si la vie ne vaut rien, rien
ne vaut la vie. Travailler plus pour gagner plus ? Gagner plus
de quoi ? Plus d'argent pour l'investir et s'entêter à
s'endetter ? La valeur des choses est-elle la base de
l'échange ? Peut-on vivre sans argent ? Faut-il de la
propriété pour créer de la valeur ? La culture
appartient-elle à quelqu'un, peut-elle avoir un prix ?Comment
est-il possible de faire de l'argent un objet sur lequel il est
possible de spéculer ? La gratuité existe-t-elle vraiment ?
N'est-ce pas l'illusion d'une offre qui demande rétribution lorsque
celle-ci n'est pas déjà incluse ou dissimulée ? Sans établir
de bilan économique ou financier du monde actuel ou déballer du
Marx ou Proudhon nous pouvons nous poser des questions fondamentales
sur la commercialisation d'objets, l'échange, la valeur d'une chose,
d'un produit. Je propose l'analyse de phénomènes sociaux
contemporains. Le mythe de l'illimité. La téléphonie et les
services numériques n'ont plus que ce mot à la bouche, nous
tenterons de décrypter la véritable nature de ce trou sans fond...
L'illusion de la gratuité. Les logiciels libres, les nouveaux
quotidiens, les échantillons, n'y a-t-il vraiment personne qui paye
pour ça ? Enfin, puisque tout n'est pas si noir il existe des
alternatives au monde consumériste, le troc, les zones de gratuité,
le don.
1. Le mythe de l'illimité
L'illimité désigne ce qui est sans borne, sans limite, sans fin. L'infini selon les époques peut renvoyer à l'idée d'inachevé, d'imparfait. Aujourd'hui il est synonyme de liberté, de possibilité. L'illimité est métaphoriquement utilisé pour souligner le caractère indénombrable, non mesurable d'une propriété, d'une grandeur. Pour autant que nos actions sont limitées dans le temps et l'espace elles sont mesurables et quand bien même certaines de nos prouesses pourraient être immenses, elles ne sauraient être illimitées. L'illimité est la caractéristique du divin, de l'inimaginable. C'est de cette forte symbolique religieuse que ce mot tire toute sa force. Offre illimitée est une invitation encore plus alléchante que les traditionnels buffets à volonté. De telles propositions replacent le consommateur au centre de ses pulsions : c'est à lui de décider, c'est lui qui fixe les limites, ses limites. Bien sûr, de telles offres reposent sur l'impossibilité physique de dépasser les limites nécessaires au commerçant s'il veut rentrer dans ses frais. Psychologiquement, le client estime qu'il gagne dès lors qu'il se force à dépasser ses propres limites, en se gavant par exemple à un buffet à volonté, non pas parce qu'il en a le besoin mais simplement parce qu'il en a le droit, la possibilité. Pareillement à l'enfant à qui l'on interdit de faire une action, celui-ci sera tenté de désobéir, de dépasser les limites, tout comme l'adulte qui croît être plus raisonnable mais qui agit symétriquement à chaque occasion qui lui est donnée de montrer qu'il peut également ne pas dépasser la limite.
1. Le mythe de l'illimité
L'illimité désigne ce qui est sans borne, sans limite, sans fin. L'infini selon les époques peut renvoyer à l'idée d'inachevé, d'imparfait. Aujourd'hui il est synonyme de liberté, de possibilité. L'illimité est métaphoriquement utilisé pour souligner le caractère indénombrable, non mesurable d'une propriété, d'une grandeur. Pour autant que nos actions sont limitées dans le temps et l'espace elles sont mesurables et quand bien même certaines de nos prouesses pourraient être immenses, elles ne sauraient être illimitées. L'illimité est la caractéristique du divin, de l'inimaginable. C'est de cette forte symbolique religieuse que ce mot tire toute sa force. Offre illimitée est une invitation encore plus alléchante que les traditionnels buffets à volonté. De telles propositions replacent le consommateur au centre de ses pulsions : c'est à lui de décider, c'est lui qui fixe les limites, ses limites. Bien sûr, de telles offres reposent sur l'impossibilité physique de dépasser les limites nécessaires au commerçant s'il veut rentrer dans ses frais. Psychologiquement, le client estime qu'il gagne dès lors qu'il se force à dépasser ses propres limites, en se gavant par exemple à un buffet à volonté, non pas parce qu'il en a le besoin mais simplement parce qu'il en a le droit, la possibilité. Pareillement à l'enfant à qui l'on interdit de faire une action, celui-ci sera tenté de désobéir, de dépasser les limites, tout comme l'adulte qui croît être plus raisonnable mais qui agit symétriquement à chaque occasion qui lui est donnée de montrer qu'il peut également ne pas dépasser la limite.
Qu'est-ce
qu'une offre de téléphonie illimitée ? C'est un forfait qui a
changé de nom. Mais la magie de la langue et des mots est
merveilleuse car elle a ce pouvoir de changer la réalité. Prenez un
forfait de ski : sur une station donnée vous pouvez prendre
tous les télésièges dans n'importe quel sens, autant de fois que
vous voulez, de l'ouverture à la fermeture du site. On pourrait très
bien dire que vous avez le droit de circuler de manière illimitée
sur tout le réseau, la seule chose qui vous en empêcherait serait
d'une part l'impossibilité d'utiliser tout le réseau tout le temps
mais même si les lois de la physique le permettaient, on comprend
bien que le but premier d'un forfait de ski est de skier. Avec la
téléphonie c'est similaire en théorie mais différent en pratique
puisque l'homme est capable de téléphoner tout le temps, toute la
journée et toute la nuit. La différence est importante car si un
skieur peut estimer « rentabiliser » son forfait en
skiant un maximum (et non pas en restant sur le télésiège)
l'utilisateur de téléphone se sent obligé d'accumuler les heures
de conversation pour justifier le prix de la dite offre.
Puisque le consommateur moyen veut se vanter d'être un minimum
économe et qu'il raisonne avec un forfait à l'unité, la meilleure
manière de se convaincre qu'il ne paye pas trop cher est d'augmenter
le ratio communication/prix à payer à l'infini, de sorte qu'il peut
se persuader de ne rien
payer. Ainsi les mathématiques à l'appui nous savons que la
fraction de l'infini sur n'importe quelle valeur finie donnera
toujours zéro. CQFD.
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