lundi 2 avril 2012

Apprendre des langues, entre conscience et politique


Identité, Altérité, Langage.

Afin de mieux se rendre compte de l'opportunité qu'offre l'apprentissage de langues je voudrais développer mon argumentation suivant trois domaines qui diffèrent par leur nature mais dont l'analyse qui en sera faite permettra d'en faire ressortir les similitudes. Comment l'identité et la conscience de soi ne peut-elle se forger que dans la conscience de l'autre ? En répondant à cette première question nous aborderons une dimension psychologique qui pourra servir ensuite à montrer qu'à l'échelle sociologique nous pouvons appliquer des raisonnements analogues. Enfin à partir de ces considérations nous devrions mieux comprendre l'importance des langues, qu'elles soient étrangères ou vernaculaires, dans l'appréhension de notre propre culture, identité et manière de saisir le réel.

Comment savons-nous que nous existons ? Par une mise en relation de nos différences et nos similitudes avec le monde extérieur, et particulièrement l'autre. L'autre est celui qui me ressemble sans être moi. L'autre est celui qui possède les mêmes caractéristiques que moi, avec des grandeurs différentes. L'identité ne se construit pour autant pas simplement sur une dualité. L'altérité suppose le nombre, la multiplicité. La conscience de moi-même est la perception de l'autre différent de moi-même mais également différent d'un tiers. Ainsi je peux affirmer être un homme non seulement car je sais que je ne suis pas un arbre, mais surtout car je possède les mêmes caractéristiques que d'autres hommes avec lesquels je forme un groupe. Ce qui est remarquable n'est pas tant la différence perceptible entre moi-même et des objets du monde extérieur mais la différence entre les objets eux-mêmes. A-t-on pour autant une identité propre ? Cette association est-elle seulement envisageable ? Évidemment non, il n'existe pas plus d'identité absolue qu'il est impossible d'être différent absolument, indépendamment d'autres entités, quelles qu'elles soient. L'identité repose sur la différence, l'identité d'un groupe serait d'une manière simplifiée la propriété des individus de ce groupe d'être tous différents des individus d'un autre groupe. De ce point de vue l'identité ne peut constituer le critère d'appartenance ou non à un groupe puisqu'elle en est le synonyme. En tant qu'individu je me définis donc comme différent des autres individus à l'intérieur d'un groupe – qui peut être une famille, une nation, une espèce – lui même défini par opposition aux autres groupes.

En nous situant à une échelle sociale, une nation, un empire se construisent par opposition à d'autres royaumes, territoires... Dans les cas où c'est l'identité d'un peuple qui est à l'origine des frontières, c'est par opposition, par exclusion que naissent différents états. Que les critères soient religieux ou ethniques ils sont à la base de l'altérité et par conséquent de l'identité. Ce qui est à la base de la religion c'est ce qui relit, religere en latin. Mais ce qui rassemble des individus les condamne à se séparer des autres. Partager un même point de vue est en quelque sorte affirmer communément un rejet des autres théories. Cette vision d'une situation qui relate des faits doit être relativisée avec l'idée du commun. En prenant l'exemple des religions, malgré leurs différences, nous pouvons nous accorder sur le fait qu'elles traitent fondamentalement des mêmes problèmes, et qu'elles posent les mêmes questions (les principales apportent de surcroît les mêmes réponses). L'idée d'identité et de groupe est à relativiser. Sommes nous en opposition parce que nous sommes différents les uns des autres ou ne mettons-nous pas en avant des différences qui ne reposent que sur nos oppositions ?

Pourquoi apprendre des langues ? La réponse apparaît de plus en plus claire et évidente. Pour cultiver la différence, l'altérité et l'identité « positive » qui se nourrit de l'échange. Sans spéculer sur l'origine et l'évolution des langues tenons-nous en au constat simple que nous ne partageons pas tous la même langue. Ce qui constitue parfois une barrière pour la communication est une véritable chance pour la compréhension... de soi ! Qu'est-ce qu'apprendre une langue autre que maternelle ? C'est ré-apprendre à voir le monde, à le saisir, le nommer. C'est ré-apprendre les rapports qu'entretiennent les aspects du réel avec les concepts, revoir l'idée du mot, de la phrase, du langage. Dans la comparaison de sa langue et d'une autre certaines différences mettront en relief ce qui est nécessaire ou pas (les noms en anglais n'ont aucun genre) ; dans une autre la construction de champs sémantiques révèlera des liens étymologiques dans sa propre langue ; et en multipliant les expériences ressortira ce qui est essentiel au langage et qui est partagé par tous, encore que ceci soit possible. Chaque langue attribue à un aspect de la réalité une notion, un concept, des mots. Le fonctionnement polysémique du langage lui permet de saisir un maximum de ce qui est abstrait (l'expérience) avec un minimum de concret (des sons ou des signes graphiques). Dans cette perspective j'aime à penser (j'en suis même convaincu) que le polyglotte élargit cette palette de mots, d'outils qui lui permettent de saisir le réel de deux manières : en disposant de nouveaux outils que sa langue ne lui offrait pas et en affinant ceux qu'elle proposait déjà. Apprendre une langue c'est se regarder dans un miroir.

La France est un des pires pays en terme d'apprentissage des langues et le constat amer des professeurs est sans équivoque : les fautes d'orthographes se multiplient au fil des ans. Ce que j'ai voulu montrer est simplement la force que peut avoir l'apprentissage des langues étrangères (non maternelles) dans la prise de conscience de sa propre langue de la même manière que chacun se construit avec et par différenciation de l'autre. Si l'écolier français moyen est aussi nul en Français qu'en Anglais ou en Allemand ce n'est pas un hasard. Les deux compétences sont complémentaires c'est pour cela qu'il ne faut pas craindre l'ouverture à l'autre, aux autres cultures mais également à ses propres cultures régionales qui contribuent tout autant au mythe de l'identité nationale qui n'est en fait qu'un choix. Se construire, construire un groupe, un état c'est s'ouvrir à la diversité, échanger des expériences et unir des forces. Apprendre des langues est en cela un acte d'humilité et d'invitation à partager.

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