Identité, Altérité,
Langage.
Afin
de mieux se rendre compte de l'opportunité qu'offre l'apprentissage
de langues je voudrais développer mon argumentation suivant trois
domaines qui diffèrent par leur nature mais dont l'analyse qui en
sera faite permettra d'en faire ressortir les similitudes. Comment
l'identité et la conscience de soi ne peut-elle se forger que dans
la conscience de l'autre ? En répondant à cette première
question nous aborderons une dimension psychologique qui pourra
servir ensuite à montrer qu'à l'échelle sociologique nous pouvons
appliquer des raisonnements analogues. Enfin à partir de ces
considérations nous devrions mieux comprendre l'importance des
langues, qu'elles soient étrangères ou
vernaculaires, dans
l'appréhension de notre propre culture, identité et manière de
saisir le réel.
Comment
savons-nous que nous existons ? Par une mise en relation de nos
différences et nos similitudes avec le monde extérieur, et
particulièrement l'autre. L'autre est celui qui me ressemble sans
être moi. L'autre est celui qui possède les mêmes caractéristiques
que moi, avec des grandeurs différentes. L'identité ne se construit
pour autant pas simplement sur une dualité. L'altérité suppose le
nombre, la multiplicité. La conscience de moi-même est la
perception de l'autre différent de moi-même mais également
différent d'un tiers. Ainsi je peux affirmer être un homme non
seulement car je sais que je ne suis pas un arbre, mais surtout car
je possède les mêmes caractéristiques que d'autres hommes avec
lesquels je forme un groupe. Ce qui est remarquable n'est pas tant la
différence perceptible entre moi-même et des objets du monde
extérieur mais la différence entre les objets eux-mêmes. A-t-on
pour autant une identité propre ? Cette association est-elle
seulement envisageable ? Évidemment non, il n'existe pas plus
d'identité absolue qu'il est impossible d'être différent
absolument, indépendamment d'autres entités, quelles qu'elles
soient. L'identité repose sur la différence, l'identité d'un
groupe serait d'une manière simplifiée la propriété des individus
de ce groupe d'être tous différents des individus d'un autre
groupe. De ce point de vue l'identité ne peut constituer le critère
d'appartenance ou non à un groupe puisqu'elle en est le synonyme. En
tant qu'individu je me définis donc comme différent des autres
individus à l'intérieur d'un groupe – qui peut être une
famille, une nation, une espèce – lui même défini par opposition
aux autres groupes.
En
nous situant à une échelle sociale, une nation, un empire se
construisent par opposition à d'autres royaumes, territoires... Dans
les cas où c'est l'identité d'un peuple qui est à l'origine des
frontières, c'est par opposition, par exclusion que naissent
différents états. Que les critères soient religieux ou ethniques
ils sont à la base de l'altérité et par conséquent de l'identité.
Ce qui est à la base de la religion c'est ce qui relit, religere
en latin. Mais ce qui rassemble des individus les condamne à se
séparer des autres. Partager un même point de vue est en quelque
sorte affirmer communément un rejet des autres théories. Cette
vision d'une situation qui relate des faits doit être relativisée
avec l'idée du commun. En prenant l'exemple des religions, malgré
leurs différences, nous pouvons nous accorder sur le fait qu'elles
traitent fondamentalement des mêmes problèmes, et qu'elles posent
les mêmes questions (les principales apportent de surcroît les
mêmes réponses). L'idée d'identité et de groupe est à
relativiser. Sommes nous en opposition parce que nous sommes
différents les uns des autres ou ne mettons-nous pas en avant des
différences qui ne reposent que sur nos oppositions ?
Pourquoi
apprendre des langues ? La réponse apparaît de plus en plus
claire et évidente. Pour cultiver la différence, l'altérité et
l'identité « positive » qui se nourrit de l'échange.
Sans spéculer sur l'origine et l'évolution des langues tenons-nous
en au constat simple que nous ne partageons pas tous la même langue.
Ce qui constitue parfois une barrière pour la communication est une
véritable chance pour la compréhension... de soi ! Qu'est-ce
qu'apprendre une langue autre que maternelle ? C'est
ré-apprendre à voir le monde, à le saisir, le nommer. C'est
ré-apprendre les rapports qu'entretiennent les aspects du réel avec
les concepts, revoir l'idée du mot, de la phrase, du langage. Dans
la comparaison de sa langue et d'une autre certaines différences
mettront en relief ce qui est nécessaire ou pas (les noms en anglais
n'ont aucun genre) ; dans une autre la construction de champs
sémantiques révèlera des liens étymologiques dans sa propre
langue ; et en multipliant les expériences ressortira ce qui
est essentiel au langage et qui est partagé par tous, encore que
ceci soit possible. Chaque langue attribue à un aspect de la réalité
une notion, un concept, des mots. Le fonctionnement polysémique du
langage lui permet de saisir un maximum de ce qui est abstrait
(l'expérience) avec un minimum de concret (des sons ou des signes
graphiques). Dans cette perspective j'aime à penser (j'en suis même
convaincu) que le polyglotte élargit cette palette de mots, d'outils
qui lui permettent de saisir le réel de deux manières : en
disposant de nouveaux outils que sa langue ne lui offrait pas et en
affinant ceux qu'elle proposait déjà. Apprendre une langue c'est se
regarder dans un miroir.
La
France est un des pires pays en terme d'apprentissage des langues et
le constat amer des professeurs est sans équivoque : les fautes
d'orthographes se multiplient au fil des ans. Ce que j'ai voulu
montrer est simplement la force que peut avoir l'apprentissage des
langues étrangères (non maternelles) dans la prise de conscience de
sa propre langue de la même manière que chacun se construit avec et
par différenciation de l'autre. Si l'écolier français moyen est
aussi nul en Français qu'en Anglais ou en Allemand ce n'est pas un
hasard. Les deux compétences sont complémentaires c'est pour cela
qu'il ne faut pas craindre l'ouverture à l'autre, aux autres
cultures mais également à ses propres cultures régionales qui
contribuent tout autant au mythe de l'identité nationale qui n'est
en fait qu'un choix. Se construire, construire un groupe, un état
c'est s'ouvrir à la diversité, échanger des expériences et unir
des forces. Apprendre des langues est en cela un acte d'humilité et
d'invitation à partager.
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