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Calligraphier,
peindre, méditer, tout comme se soigner par la médecine chinoise ou
pratiquer le tai-chi-chuan, consiste donc à entrer en relation avec
le Souffle qui est à l’œuvre dans tout ce qui est. Selon le
taoïsme, l’homme peut écouter par l’oreille de la chair, il
entendra le bruit du monde ; il peut également écouter par
l’oreille du Souffle, il participera au processus de la
transformation universelle. À l’instar de ceux qui ont atteint la
vacuité du cœur, il entrera en résonance avec la pulsation du
monde.
François
Cheng, Et le souffle devient signe
Qu’est-ce
que je recherche dans une pratique corporelle, et en particulier dans
ce qu’on appelle un art martial ? Je cherche entre
autres à
me sentir bien, et ce but final se conçoit par la connaissance de
son corps. Dans toute pratique sportive, qu’elle soit individuelle
ou collective il y a la recherche de la bonne posture, de la bonne
position, du bon geste, du bon mouvement. Et celui ou celle qui veut
se perfectionner cherche à maîtriser le moindre des gestes. L’idée
d’art martial se rapproche en ce sens de l’idée d’art en
général, et peut-être d’artisanat. Mais il ne s’agit pas ici
de nous intéresser au perfectionnement d’une technique, mais
plutôt de décrire l’expérience d’une sensation. Quand je dis
que je m’entends bien avec une personne ou un lieu je peux utiliser
l’image d’avoir de bonnes vibrations, et un nombre incalculable
d’œuvres
musicales font l’éloge des good
vibrations.
Mais ce qui peut s’apparenter ici comme une finalité est aussi un
moyen. Ainsi le regard que je porte sur l’expérience de l’harmonie
à travers la vibration n’est pas seulement la recherche d’un but
qui ferait de la vibration une fin en soi pour la sensation qu’elle
procure mais aussi et pourquoi pas avant tout un moyen par lequel
j’ai accès à mon corps depuis l’intérieur. J'ai
voulu ainsi interroger l'expérience de l'équilibre, du mouvement et
de la vibration. Ma
réflexion fait le chemin suivant : qu'est-ce qu'un bon geste,
une bonne position ? Un mouvement ou une posture qui sont
équilibrés. Mais qu'est-ce alors que l'équilibre ? Est-ce
l'inertie ou l'harmonie ? Il s'agit ici d'harmonie. Qu'est-ce
alors que l'harmonie sinon l'idée de vibrations coordonnées,
unies ? Je
ne pensais pas parler autant de vibration quand j'ai commencé ce
travail mais j'ai décidé de garder le titre, qui est le point de
départ.
Du
mouvement à l'harmonie...
Chercher
le bon geste.
La
première séance est sûrement la plus déroutante. Je me place face
au senseï qui enchaîne des mouvements et tente de les reproduire
par simple mimétisme. Mais comment savoir que mes mouvements sont
les bons ? Je dois observer les autres, m'observer et chercher
des différences. Je dois surtout apprendre à ressentir mon corps,
c'est-à-dire à l'observer depuis l'intérieur. Que se passe-t-il si
je bouge mon pied vers l'avant ? Et si je lève ou si je descend
un peu plus mon bras ? Quelle influence aurait une variation de
l'angle de mon coude, de mon bassin ? Autant de détails sur
lesquels je m'exerce et m'efforce tranquillement séance après
séance afin de trouver le bon geste. Si
je sais comment chercher, comment saurai-je quand je l'aurai trouvé ?
Position
ou mouvement ?
Doit-on
chercher les bonnes postures pour construire un bon mouvement ou
aller dans le mouvement chercher les bonnes postures ? Pour
apprendre un mouvement de judo ou de danse on a tendance à
l'analyser, le décomposer pour en apprendre ses composantes, mais
existe-t-il une véritable différence entre la posture et le
mouvement ? Il
y a de toute évidence beaucoup plus dans un mouvement que la simple
somme des positions qui le composent et ne peuvent être que des
repères, des abstractions à certains moments donnés qui nous
guident. Mais même au-delà de ça il semblerait que l'idée même
de posture soit une illusion. La position n'est également qu'un
repère, elle nous dit comment nous tenir, dans quelles limites nous
devons nous mouvoir mais nous ne sommes jamais tenus à l'inertie.
L’efficacité
d’une posture semble
être
son équilibre. La bonne posture n’est pas une posture figée
absolument, car cela voudrait signifier la mort, et l’équilibre
n’est pas la recherche de la mort qui serait l’arrêt, car c’est
la recherche de la constance dans
l'inconstance.
De
l'équilibre à l'harmonie. L’équilibre
n’est donc
pas un état statique. L’équilibriste est celui ou celle qui sait
se balancer, on
retrouve balance
comme traduction d'équilibre en anglais.
Et
l'idée de balance me fait penser à cet objet de mesure qui fait
s'opposer deux poids, deux forces. Cet équilibre sera finalement
l'opposition du faire et du laisser faire. L’équilibre
est une succession de déséquilibres. Ainsi entendue
la position n’est qu’une abstraction d’un mouvement lent. Je
pense que c’est à l’intérieur du mouvement qu’on trouve
l’équilibre, qu’on trouve le bon geste, la bonne posture. Car la
bonne posture n’est pas “en soi” dans un absolu, elle est
justement le bon passage, le bon chemin (do),
la voie par laquelle le mouvement est le mieux.
...de
l'harmonie à la vibration
Prise
de conscience. Lors
d'une
séance, il m’est arrivé quelque chose de particulier. Les
conditions étaient différentes, nous étions dans un autre lieu, je
me sentais un peu plus faible, un peu plus affamé, et donc moins
concentré, moins relâché. J’ai eu du mal à effectuer certaines
positions statiques du fait de mon corps qui semblait manifester un
certain refus, un blocage par sa vibration. Ce n’était en effet
pas un tremblement mais bien une vibration, c’est-à-dire purement
mécanique. Et face à cette vibration de mes muscles la seule
manière de retrouver un repos, c’était soit de détendre la
position pour revenir à quelque chose de plus simple, de plus
relâché, soit de pousser l’exercice au delà du blocage pour le
débloquer. J'ai
depuis pris conscience de cette idée de vibration comme la
manifestation d'une énergie qui traverserait le corps (et la
matière?). La
prise de conscience du corps et donc sa connaissance n'est en fait
possible que parce que celui-ci me fait obstacle par moments.
L’harmonie
ou l’harmonisation est la mise en adéquation des vibrations. Deux
vibrations sont harmonieuses ou en harmonie quand elles vibrent
ensemble, sur un même rythme. L’équilibre, l’harmonie est donc
aussi une question de rythme. Et nous comprenons en quoi il s’agit
toujours de nous questionner sur le rapport entre la posture et le
mouvement car il ne saurait y avoir d’équilibre absolu mais
seulement un équilibre à travers le mouvement .Si nous entendons
simplement équilibre comme ce qui ne bouge pas, alors nous pouvons
comprendre l’idée d’équilibre comme ce qui ne varie pas dans le
mouvement, c’est-à-dire l’harmonie ou la grâce qui fait qu’un
mouvement est cohérent,esthétique harmonieux. Mais si la question
de l’esthétique se pose davantage pour la pratique artistique pure
que serait par exemple la danse, dans le contexte de l’art martial
il convient de montrer que cet équilibre et cette harmonie a des
vertus plus larges que la simple beauté visuelle. Le bon geste est
le geste harmonieux, constant, celui à travers lequel la vibration
peut continuer.
Le
cœur qui bat, les muscles qui fléchissent, l’air qui rentre et
qui sort de notre corps. Tous ces micro mouvements forment les
vibrations perceptibles du corps, elles sont multiples. Elles varient
en nature et en degré. Le corps vibre, cette vibration est la
résonance du microscopique. C’est la vie. La respiration, le sang
qui coule dans nos veines. Le mouvement du corps en lui-même. En ce
sens l’harmonie, l’équilibre est une recherche permanente,
consciente et inconsciente. Le geste, le mouvement est lui même une
vibration. La position est une abstraction du mouvement. La position
statique est une réduction de la vitesse mais peut se concevoir
comme une tentative d’atteindre la vibration du corps à ne pas
enfermer la vibration, l’énergie du corps, mais la canaliser. De
même, un bon mouvement serait un mouvement à travers lequel la
vibration du corps serait continue, et la difficulté de l’équilibre
dans le mouvement consiste à éviter les discontinuités, ces
coupures. Pour autant cela n’empêche pas l'accélération ou la
décélération, mais à une certaine allure.
Il
n’y a aucun intérêt sinon méthodologique à vouloir figer la
vibration. L’équilibre, la vibration est en cela le mouvement
perpétuel qui pourrait se retrouver même jusqu’au fond de la
matière. Je pense alors à la vague et au mouvement de la mer, de
l’eau. La vague est une abstraction du mouvement général de
l’ensemble de l’océan, de l'étendue de liquide qui ne forme
qu'une seule entité mais dont nous ne remarquons que les crêtes
individuelles formées par l'écume des vagues. Comme le point ou la
ligne sont des abstractions de l’esprit, car notre regard ne se
porte jamais absolument sur un unique point ou sur une ligne
absolument droite, ceux-ci constituent des horizons, des repères
pour agir.
La
vibration est mouvement. La vibration est l’opposition et la
composition. Le vide et le plein. Il n’y aurait pas de vide sans
plein, il n’y aurait pas de plein sans vide. L’être et le néant.
La vibration est dynamique et statique. L’un et l’autre. Le yin
et le yang. Le féminin et le masculin. Le jour et la nuit. La
vibration est cette tension perpétuelle et nécessaire entre les
opposés.
La
pulsion de vie et la pulsion de mort. Nous
sommes à la fois attirés par le mouvement car nous avons peur de
mourir, nous avons peur de ne plus pouvoir nous mouvoir, comme
nous sommes attirés par la
quiétude, l’apaisement, le repos car nous savons que trop de
mouvement nous fatigue. Si c’est la mort que nous fuyons, c’est
l’amour que nous recherchons dans l’idée d’harmonie propre à
la fusion. L’acte sexuel serait ainsi le moment suprême pendant
lequel notre corps serait abandonné à ses vibrations les plus
brutes, les plus intenses. Si
le plaisir charnel est l'image type du plaisir, sans que la pratique
de l'art martial ne vise l'orgasme elle recherche évidemment un
confort, un plaisir. On peut
penser qu'une posture difficile devient de plus en plus douloureuse,
or avec le temps on peut perfectionner celle-ci pour la rendre plus
agréable.
Lâcher
prise !
Furitama.
Dans
l’exercice de Furitama où l’on cherche à secouer son âme nous
sommes soumis à la recherche d’un équilibre, d’une harmonie.
Nous devons trouver un juste rapport entre maîtrise et lâcher-prise.
Un contrôle trop sévère nous rend trop rigides et incapables de
laisser les vibrations se déplacer à l’intérieur de notre corps
tout comme un trop grand relâchement. Chaque mouvement que
j’effectue avec mes bras doit être mesuré et s’adapte aux
sensations que j’ai comme réponses de mon corps entier. Il y a une
limite entre mon corps passif et mon corps actif bien que ces deux se
confondent. J’essaie de contracter certains muscles pour pouvoir en
relâcher certains, j’essaie de faire varier la force de ces
contractions. Je me concentre sur ce que je ressens et je fais varier
l’amplitude du mouvement, le rythme ou l’intensité de manière à
créer des différences. De ces différences de sensation je prends
conscience de mon corps de manière presque indirecte puisque
celui-ci étant
détendu et soumis aux vibrations que je lui envoie, semble se
détacher de ma perception subjective. Je
sens des blocages, des muscles, des tendons, des os qui résistent
qui freinent le mouvement.
Faire
et laisser-faire. L’agir
et le non-agir. Laisser vibrer c’est agir pour laisser agir, agir
le mieux pour agir le moins. J’aimerais
terminer par la calligraphie pour illustrer l’idée principale qui
se résumerait au laisser-faire. Laisser faire s’apprend. Un bon
calligraphe et un bon pratiquant ne doit pas chercher à maîtriser
les techniques comme des objets qu’il faudrait s’approprier pour
les dominer : la
maîtrise n'est pas la domination (on pourrait aussi s'intéresser au
rapport maître
et élève).
Le corps est un outil, un moyen pour l’aïkiryuka comme le pinceau
pour le calligraphe. La finalité de la pratique serait alors de
connaître suffisamment le pinceau pour le laisser faire, le laisser
peindre tout en disparaissant derrière la volonté de l’artiste.
La recherche d’harmonie doit viser la disparition, ou
du moins son retrait,
du support, du corps pour laisser apparaître directement l’âme,
l’esprit de l’artiste. La maîtrise se remarque quand l’outil
n’est plus un obstacle ou une contrainte, quand il devient neutre.
Toute
cette réflexion appliquée à l'art martial et la pratique
particulière de l'Aïkiryu taïso se veut également plus générale,
et peut se penser comme une philosophie, comme une réflexion sur le
monde et le rapport qu'on entretient avec lui.
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