dimanche 23 octobre 2011

Sang et don

Le sang est notre fluide vital. Si il symbolise la vie, lorsqu'il se manifeste c'est qu'il témoigne d'une maladie, d'une blessure ou de la mort. C'est lui qui transporte l'énergie à travers nos organes, nos muscles, dans les moindres veines de notre corps, c'est aussi lui qui favorise la transmission intérieure de parasites, virus et autres éléments pathogènes. Le sang a toujours revêtu une image sacrée, symbole spirituel car très proche de l'idée de l'âme, de l'esprit, du souffle vital. Le sang visible, sorti du corps n'est jamais un très bon signe, ce n'est pas sa place. Les malaises provoqués par la vue du sang ne peuvent être d'ordre uniquement physique au sens restreint de la perception de la couleur particulière des globules, auquel cas la simple vision d'un rouge écarlate serait désagréable et anxiogène (est-ce le cas?). Nous associons inévitablement le sang à notre propre fragilité, notre propre finitude et c'est cette perspective qui nous fait peur. Pourtant nos capacités biologiques nous permettent de reconstituer celui-ci quand le manque n'est pas trop important.
Faire couler du sang dans beaucoup de traditions religieuses ou spirituelles, surtout anciennes, relève de cérémonies sacrées d'offrande à des puissances divines ou supérieures. Tout comme on peut imaginer des scènes de fanatiques allumés buvant le sang de victimes sacrifiées tels des vampires, le sang tient bel et bien le rôle d'énergie nécessaire et au delà de ça, d'énergie presque universelle. C'est un argument très convainquant contre les ignorants persuadés d'une différence raciale entre personnes de groupes ethniques très différents : nous avons tous le même sang. Lorsque le chrétien boit le sang du Christ il est sensé s'approprier un peu de sa bonté. Par extension au monde animal c'est aussi un critère de sympathie particulière pour les autres êtres qui saignent, nos cousins les mammifères contrairement à une indifférence envers les espèces plus petites qui ne déversent pas des litres de sang. Cette dualité vitale est plus que symbolique et l'universalité du liquide rouge qui parcourt tout notre corps nous permet aujourd'hui de nous unifier, d'être solidaires autrement que par les gestes, les paroles, les pensées mais véritablement par la chair, le corps.
Aujourd'hui les techniques médicales nous permettent un véritable partage de cette énergie vitale. Après un accident, lors d'une opération, le long d'une maladie, la recherche a montré que des milliers de vie peuvent être sauvées chaque jour. De la trophallaxie animale aux techniques respiratoires de réanimation, que ce soit de la nourriture ou de l'air l'individu connaît l'échange d'énergie. L'individu se construit par et dans l'autre, au sens figuré comme au sens propre. Donner son sang n'a aujourd'hui rien de mystique même si l'intention de l'acte se rapproche des origines sacrées : donner son sang c'est donner la vie, et donner la vie ne serait-ce pas là son sens ? Outre la figure poétique, en considérant que la finalité humaine est la simple conversation de son espèce, la transfusion se placerait quelques places derrière la naissance et le don d'organes. Transfuser n'est évidemment pas naturel au sens technique du terme, mais il est complètement justifié dans cette optique que nous venons d'évoquer.
Quel autre don pouvons-nous faire sans sentir un manque ? Toute la force de notre corps réside dans sa perpétuelle construction. Notre fluide est mouvement, instant, cycle constant. Liquide, il est avant toute chose simplement l'eau que nous buvons, cette même eau qui perce la roche et abreuve les arbres. Ainsi nous générons du sang et cette capacité permet au donneur comme au blessé, ou au malade, de se régénérer par la suite. Un don évoque le manque, l'amputation car il dépend de l'idée de propriété. Cela a du sens pour des objets inertes, dans lesquels nous voyons le temps, l'argent, l'énergie, le mérite insufflés dans la matière. Mais le paradoxe étonnant dans le don de sang réside dans son caractère impersonnel alors qu'il semblerait être le plus intime. En effet on peut voir cet acte comme un don d'une partie de soi alors que le sang est tout ce qu'il y a de plus universel (sans tenir compte des groupes sanguins). Il faudrait plutôt voir dans le don sanguin le caractère humble du partage absolu de l'énergie vitale. Comment le sang peut-il m'appartenir en propre si c'est le même pour tous ? Par analogie avec le soleil qui ne nous appartiendrait pas davantage, comment alors donner ce qui ne nous appartient pas ? De toute évidence ce n'est pas un acte anodin, mais ce n'est pas parce qu'il est si simple qu'il faut le déprécier, au delà de l'efficiente portée médicale c'est comme nous l'avons dit, l'expression même de la solidarité humaine.

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