Le sang est notre fluide vital. Si il
symbolise la vie, lorsqu'il se manifeste c'est qu'il témoigne d'une
maladie, d'une blessure ou de la mort. C'est lui qui transporte
l'énergie à travers nos organes, nos muscles, dans les moindres
veines de notre corps, c'est aussi lui qui favorise la transmission
intérieure de parasites, virus et autres éléments pathogènes. Le
sang a toujours revêtu une image sacrée, symbole spirituel car très
proche de l'idée de l'âme, de l'esprit, du souffle vital. Le sang
visible, sorti du corps n'est jamais un très bon signe, ce n'est pas
sa place. Les malaises provoqués par la vue du sang ne peuvent être
d'ordre uniquement physique au sens restreint de la perception de la
couleur particulière des globules, auquel cas la simple vision d'un
rouge écarlate serait désagréable et anxiogène (est-ce le cas?).
Nous associons inévitablement le sang à notre propre fragilité,
notre propre finitude et c'est cette perspective qui nous fait peur.
Pourtant nos capacités biologiques nous permettent de reconstituer
celui-ci quand le manque n'est pas trop important.
Faire couler du sang dans beaucoup de
traditions religieuses ou spirituelles, surtout anciennes, relève de
cérémonies sacrées d'offrande à des puissances divines ou
supérieures. Tout comme on peut imaginer des scènes de fanatiques
allumés buvant le sang de victimes sacrifiées tels des vampires, le
sang tient bel et bien le rôle d'énergie nécessaire et au delà de
ça, d'énergie presque universelle. C'est un argument très
convainquant contre les ignorants persuadés d'une différence
raciale entre personnes de groupes ethniques très différents :
nous avons tous le même sang. Lorsque le chrétien boit le sang du
Christ il est sensé s'approprier un peu de sa bonté. Par extension
au monde animal c'est aussi un critère de sympathie particulière
pour les autres êtres qui saignent, nos cousins les mammifères
contrairement à une indifférence envers les espèces plus petites
qui ne déversent pas des litres de sang. Cette dualité vitale est
plus que symbolique et l'universalité du liquide rouge qui parcourt
tout notre corps nous permet aujourd'hui de nous unifier, d'être
solidaires autrement que par les gestes, les paroles, les pensées
mais véritablement par la chair, le corps.
Aujourd'hui les techniques médicales
nous permettent un véritable partage de cette énergie vitale. Après
un accident, lors d'une opération, le long d'une maladie, la
recherche a montré que des milliers de vie peuvent être sauvées
chaque jour. De la trophallaxie animale aux techniques respiratoires
de réanimation, que ce soit de la nourriture ou de l'air l'individu
connaît l'échange d'énergie. L'individu se construit par et dans
l'autre, au sens figuré comme au sens propre. Donner son sang n'a
aujourd'hui rien de mystique même si l'intention de l'acte se
rapproche des origines sacrées : donner son sang c'est donner
la vie, et donner la vie ne serait-ce pas là son sens ? Outre
la figure poétique, en considérant que la finalité humaine est la
simple conversation de son espèce, la transfusion se placerait
quelques places derrière la naissance et le don d'organes.
Transfuser n'est évidemment pas naturel au sens technique du terme,
mais il est complètement justifié dans cette optique que nous
venons d'évoquer.
Quel autre don pouvons-nous faire sans
sentir un manque ? Toute la force de notre corps réside dans sa
perpétuelle construction. Notre fluide est mouvement, instant, cycle
constant. Liquide, il est avant toute chose simplement l'eau que nous
buvons, cette même eau qui perce la roche et abreuve les arbres.
Ainsi nous générons du sang et cette capacité permet au donneur
comme au blessé, ou au malade, de se régénérer par la suite. Un
don évoque le manque, l'amputation car il dépend de l'idée de
propriété. Cela a du sens pour des objets inertes, dans lesquels
nous voyons le temps, l'argent, l'énergie, le mérite insufflés
dans la matière. Mais le paradoxe étonnant dans le don de sang
réside dans son caractère impersonnel alors qu'il semblerait être
le plus intime. En effet on peut voir cet acte comme un don d'une
partie de soi alors que le sang est tout ce qu'il y a de plus
universel (sans tenir compte des groupes sanguins). Il faudrait
plutôt voir dans le don sanguin le caractère humble du partage
absolu de l'énergie vitale. Comment le sang peut-il m'appartenir en
propre si c'est le même pour tous ? Par analogie avec le soleil
qui ne nous appartiendrait pas davantage, comment alors donner ce qui
ne nous appartient pas ? De toute évidence ce n'est pas un acte
anodin, mais ce n'est pas parce qu'il est si simple qu'il faut le
déprécier, au delà de l'efficiente portée médicale c'est comme
nous l'avons dit, l'expression même de la solidarité humaine.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire