samedi 29 octobre 2011

Métaphysique de la cigarette

« Fumer tue ». Aujourd'hui plus personne ne peut le nier ni l'ignorer. Sur tous les paquets de cigarettes sont affichés des messages de préventions. L'homme est averti. Comment devient-il fumeur ? Serait-ce une pulsion morbide ? Nous ne pouvons imputer au phénomène physiologique d'addiction toute la responsabilité d'un comportement pareil. Toute la symbolique cachée derrière la cigarette mérite de l'attention et de l'imagination car elle est sûrement plus complexe qu'il n'y paraît. Le feu. Remarquez l'allure et le comportement néandertalien du fumeur dépourvu de briquet ou d'allumettes qui ère désespérément en soirée dans la rue à la recherche du porteur de feu comme si ce dernier pouvait le sauver de la faim ou de la menace de féroces créatures. Le feu matriciel pythagoricien reprend alors sa place centrale dans la conception vitale du fumeur. La transmission du feu permet ainsi de resserrer les liens du clan. Celui qui possède le pouvoir incandescent maîtrise une partie de la Nature et des éléments. En acceptant d'en donner une partie à ses congénères il sait faire preuve d'humilité et manifeste de la sorte l'égalité de rang de l'homme face aux animaux. Le fumeur est ce type de personne qui se réchauffe en hiver avec une cigarette qu'il fume dehors car dedans c'est interdit et le besoin de se réchauffer n'est plus pertinent. Jouer avec le feu sans se brûler c'est peut-être le propre de l'homme. Construire des centrales nucléaires sans qu'elles n'explosent. Se tuer à petit feu. Car vivre n'offre aucune échappatoire à la mort, se sentir mourir n'est-il pas un moyen de se sentir vivre ? Respirer. Inspirer. Expirer. Sentir son corps de l'intérieur.
L'air. Le plaisir et la douleur sont les deux faces d'une même pièce aurait dit Socrate. Dans les deux cas ils manifestent l'existence de l'être capable de perceptions. Donner de la consistance à cet air qui bien qu'invisible est vital. L'esprit ? Du latin spiritus qui signifie le souffle ? Inspirer, Expier ? Le fumeur chercherait-il à cracher son âme ? Les bouddhistes font brûler de l'encens pour envoyer leurs prières aux dieux célestes. Quel message peuvent bien vouloir envoyer les fumeurs ? La combustion, rencontre du feu et de l'air rend visible ce qui ne l'est pas. La condensation hivernale de la même sorte matérialise cet air qui sort de notre corps. La fumée donne une substance à l'énergie infiniment nécessaire, en chaque instant selon le rythme de nos poumons. Ce qui est habituellement un cycle quasi inconscient, silencieux et qui fait se gonfler et dégonfler notre cage thoracique comme une pompe prend alors l'ampleur de sa fonction. Et ce qui n'a pas de forme, d'espace, de contours, de couleur, de profondeur devient un véritable objet à part entière qui évolue, indépendant, léger, se contorsionnant en volutes sur lui même dans une lenteur apaisante, envoûtante. Tout cela pourrait être tellement poétique si cette fumée n'était pas remplie de goudrons, solvants, oxydes, acides, et dizaines de composés chimiques toxiques qui polluent notre air.
La mort. En écartant l'idée que tirer sur une clope manifeste un désir infantile de téter le sein maternel l'acte en lui-même annonce surtout une cascade de sensations. La pensée serait une preuve rationnelle de l'existence, mais la douleur en serait une physique, sensible. Comment puis-je me sentir bien si je ne ressens rien ? Le bonheur est-il rationnel ou émotionnel ? Est-il consubstantiel à l'âme ? Ou complètement dépendant du corps ? Le fumeur assume ce besoin de sentir le corps pour sentir l'âme et faire souffrir l'âme par le corps. Je souffre mais je sais que je suis vivant. C'est quand nous manquons d'une chose que son existence nous apparaît. C'est en mourant que nous nous sentons vivre. La liberté du fumeur est celle-ci : le droit d'affronter sa finitude, son caractère imparfait et indéfini. Dans une vie où l'emprise personnelle ne semble avait d'effet nulle part, la seule échappatoire est la mort. Mais renoncer absolument n'aurait aucun sens et ne serait que l'accentuation d'un sentiment d'impuissance et de domination de la part de la vie. Jouer avec le feu, jouer avec la mort suffisamment pour vivre et perturber les règles du jeu, montrer que rien n'est perdu ou gagné d'avance tel est le propos implicite du fumeur. Fumer tue. Mais le plus tragique dans le mouvement gigantesque de cette grande roue-lette russe, c'est le sort des flambeurs qui entraînent parfois les proches dans des dommages collatéraux sans eux-mêmes souffrir de séquelles. Fumer tue, mais ne tue pas toujours les fumeurs.

1 commentaire:

  1. C'est pas mal vu la matérialisation du souffle. c'est vrai que c'est quelque chose que j'aime observer quand je fume. bien vu Rachul :)

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