Vous aurez remarqué les sapins envahir les villes, les lumières
se multiplier au moment où la publicité devient de plus en plus
naïve et enfantine, les vitrines de plus en plus rouges et
pseudo-enneigées. Les gens se ruent dans les magasins et dans les
rues tout le monde est sollicité pour une cause ou une autre. Nous
sommes en décembre et malgré la température encore relativement
douce nous sommes en hiver. Comment un phénomène religieux tel que
la célébration de la naissance du prophète chrétien peut-il
susciter autant d'enthousiasme dans une société qui a tué Dieu
depuis un moment déjà ? Parce que chacun de nous de manière
cyclique cherche des repères pour avancer, et comme tous les ans,
nous cherchons ces repères dans des valeurs symboliques inspirées
par la saison. L'hiver est froid et nous invite à rentrer chez nous,
dans nos chaumières, près de nos feux, nos foyers. En ce sens plus
chaleureux que ménage
le foyer représente la famille qui s'unit, se réunit en cercle pour
lutter contre la rudesse de l'hiver. Dans l'épreuve, les liens les
plus vrais étant alors censés se resserrer. Les journées étant
plus courtes, la logique voudrait faire de l'hiver une période où
nous travaillons un peu moins, et pendant laquelle nous privilégions
le repos, l'échange avec les proches, le calme de la demeure. A ces
longues nuits, les innombrables illuminations décorent les maisons
et villages, villes et boulevards pour essayer d'insuffler le maximum
de vie à la noirceur de la saison meurtrière. L'hiver est la fin de
l'année, le bilan, l'ultime moment de racheter ses fautes et faire
une bonne action et les œuvres caritatives n'hésitent pas à faire
appel à notre générosité en l'opposant à la culpabilité de
notre égoïsme. Mais au final, ne nous voilons pas la face, les
belles décorations et le vin chaud ne changent pas la nature
humaine, chacun ne pense qu'à sa gueule, la différence à
l'approche des fêtes est d'ordre diplomatique seulement. Même si
les conseils chrétiens n'atteignent plus beaucoup d'oreilles, chacun
espère inconsciemment qu'une justice naturelle récompense nos
bonnes actions et comme nos parents nous l'ont très bien appris :
si je suis sage, le Père Noël m'apportera des beaux cadeaux. Alors
certes, passés la dizaine nous affirmons ne plus croire au Père
Noël, cela reste encore à prouver. On nous le dit : il ne faut
plus croire en rien, si ce n'est en soi même. La subtilité est du
même ordre que la nuance entre croyance en Dieu et croyance en une
force divine, car si bien sûr la majorité d'entre nous rejette
l'existence d'une entité physique anthropomorphique effective, notre
comportement laisse croire que nous espérions malgré tout
l'existence d'une bonté morale qui récompenserait les bons
travailleurs. Le mérite n'existe pas, la valeur n'existe plus. La
magie de Noël voudrait nous faire croire que nous sommes gentils
seulement pendant la dernière semaine de l'année alors que nous ne
faisons que rêver éveillés les 53 autres restantes. Nous sommes de
ce point de vue le majestueux sapin, immuable. Alors que la
végétation se meurt pour mieux renaître nous persistons, insistons
tristement, déracinés et souvent abattus. Quand la fin annonce le
renouveau, nous ne voyons dans le commencement que l'entêtement dans
la même direction. Une fois de plus nous nous mentons avec de belles
résolutions qui ne sont en soi jamais des solutions mais plutôt des
désillusions. N'en déplaise, l'heure est à la fête, habillons ce
sapin de couleurs et de lumières et noyons notre misère dans un
torrent de festins sous une pluie d'ivresse. A qui ment-on ? Aux
enfants ou à nous-mêmes ? Nous ne mentons pas quand nous leur
disons que le vieux barbu existe, nous nous mentons quand nous nous
disons que nous n'y croyons pas, car nous voulons y croire et il n'y
a pas de honte à ça. Croire est une bonne chose, viser un idéal
est ce qui nous fait avancer. Ne pas assumer nous dispense de tout
engagement et de toute responsabilité, c'est juste plus simple.
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