vendredi 2 décembre 2011

De l'art du graffiti


Au delà de l'écriture les graffitis représentent, telle la calligraphie, un art qui dépasse la simple transcription des mots. Là où la poésie a comme support l'écrit et l'idée transparaît à travers le mot, c'est le mot qui est le support et l'écrit est l'idée. N'allez pas comprendre que les graffitis n'ont aucun sens, mais au contraire, comme en fait n'importe quel signe dans son contexte, ce sont plusieurs significations que nous devons voir à travers et au-delà des images elles-mêmes.

 Un graffiti est alors d'abord une véritable recherche esthétique dont les seules contraintes s'apparentent aux conventions alphabétiques. A travers une riche créativité sont apparus des styles divers et variés représentatifs de modes culturelles aussi bien influencées par l'architecture, le design, les arts plastiques et également la typographie, discipline étroitement liée. La matière première de l'artiste n'est pas la peinture, le mur ou le mot : c'est la lettre. Des traits fondamentaux suffisants et nécessaires à la reconnaissance d'un « A », triste, morne statue inexpressive nous pouvons dégager une dynamique, un déséquilibre, un mouvement, une profondeur, une force, une attirance, une vie. Sur le papier, les mains de l'artiste font glisser la pointe du feutre des milliers de fois jusqu'à obtenir la forme parfaite, originale, maîtrisée. Sur un carnet ce sont des centaines et des milliers de répétitions d'un même signe, une lettre ou même un simple point. Similaire à la pratique de la calligraphie chinoise c'est une véritable recherche disciplinaire, rigoureuse. Le crayon marque les feuilles les unes après les autres jusqu'à la forme « parfaite » harmonieuse, cohérente avec les autres, dont le mouvement original doit néanmoins disparaître derrière la qualité d’exécution. Puisque écrire est avant tout transmettre un mouvement, une dynamique à de l'espace c'est la persévérance du corps qui est visée. Travail d'équipe entre l’œil et la main, trouver le bon signe c'est chercher le bon geste. Face au mur, les lettres prennent des dimensions décuplées et les traits se courbes, se délient, s'épaississent ou s'affinent, se rejoignent en laissant naître des espaces et des volumes qui ne tardent pas à se remplir de couleurs et de motifs. La force d'un graffiti réside en partie dans ce paradoxe soulevé par les lettres. Elles qui doivent servirent le mot, le mot qui doit servir la phrase et la phrase le texte, les lettres n'ont a priori qu'un rôle figuratif. Avec le graff' elles prennent les devants de la scène parées des plus beaux costumes, endossant le premier rôle et réclamant le titre de vedette ! Trop souvent dénigrée, cette pratique artistique acquiert de plus en plus de crédibilité à mesure que l'art moderne s'ouvre et que les artistes de rue passent les portes de certaines galeries tandis que d'autres artistes plus « classiques » prennent l'air. Ne faisons pas pour autant d'amalgame grossier entre deux mondes qui, bien qu'ils se répondent, ne se confondent pas.
Ce rapport à l'écriture est symboliquement très fort. Il manifeste d'une volonté créatrice déterminée à faire du beau de ce qui est commun et comment lui rejeter l'appartenance au genre « artistique » alors que ce moyen d'expression répond comme toute autre forme à des contraintes bien définies ?

Ce qui dérange évidemment est l'appropriation de l'espace public et ce qui s'apparente à de la dégradation. Il faut comprendre cette pratique dans son évolution historique liée à une critique de la société, notamment des ghettos et d'une urbanisation sans âme. L'art n'est-il pas surtout une protestation contre la société ? Sans quoi, la recherche esthétique serait une fin en soi. Par la manifestation de leur présence les communautés de graffeurs visent la reconnaissance de leur existence et l'affirmation de leur identité propre comme ce que cherche à faire chacun de nous à son échelle. Cette reconnaissance n'est sans doute effective que dans un milieu, mais exister n'est-ce pas forcément exister dans un monde ? Et comme dans n'importe quel domaine artistique il existe le monde des artistes de rue. En quoi la reconnaissance par des pairs est-elle différente dans la rue ? Il y a de toute évidence une provocation dans l'acte nécessaire à la production : à qui appartient la ville ? A-t-on choisi de se voir affligés de toutes ces panneaux publicitaires ? De toutes ces vitrines et ces enseignes ? Qu'est-ce qui dérange ? L'appropriation des conventions d'écriture, symbole des conventions sociales et culturelles ? A-t-on peur de ça ? C'est justement ce qui est revendiqué : sortons des sentiers battus ! Soyons imaginatifs, créatifs, actifs et maîtres de notre ville, de notre espace vital.

La rue est le meilleur endroit pour faire de l'art, si nous acceptons la définition de l'art comme une ouverture sur le monde, une rupture des conventions et des clichés. En quel autre endroit pourrait-il être mieux logé ? L'art est révolte silencieuse et pour être efficace elle doit se faire dans la rue, dehors, au grand jour et ne pas restée cloisonnée, enfermée, enchaînée. L'art d'aujourd'hui cherche à être spontané, accessible et populaire. L’œuvre n'est pas la même sans son contexte, son environnement. Certains artistes américains du mouvement Pop Art nous l'ont clairement montré avec leurs sculptures géantes (Oldenburg) qui n'auraient ni la place ni la force qu'elles ont maintenant si elles se trouvaient dans un musée. Comment enfin ne pas admirer l'humilité de ces artistes de rue qui inscrivent leurs travaux dans le moment. En effet, chaque production murale est amenée à être recouverte, parfois aussi rapidement qu'elle n'aura été découverte et le caractère éphémère d'un tel travail ne peut que renforcer l'estime que l'on peut avoir. L'art pour l'art ou simple marque de pragmatisme face au bruit incessant de la société dans lequel nous sommes noyés ? Avec les graffitis non seulement nous crions notre désir d'exister, mais nous le crions haut et fort, en formes et en couleurs !

Articles liés :
Poétique de la lettre
De la calligraphie chinoise

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire