mardi 28 octobre 2014

Lettre ouverte sur la question de la violence et de l'action politique


À ma famille, à mes vieux amis et mes proches qui ont l'impression de me comprendre de moins en moins. Puissent ces quelques lignes apporter plus de lumière que d'ombre.

Comme vous le savez peut-être, le week-end du 25 octobre est décédé un opposant au projet de barrage de Sivens, dans le Tarn. Peut-être est-ce pour vous une information comme une autre. Des gens meurent tous les jours pour plein de raisons différentes. Pourtant cet événement me touche plus particulièrement. C'était lui ce week-end, ça aurait pu être moi un autre jour, ce sera une autre personne plus tard. Je milite pour diverses causes. Contre des projets concrets comme celui de l'aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Contre le nucléaire. Je participe à des manifestations publiques. Je participe à d'autres types d'actions plus ou moins légales. J'ai déjà participé à des affrontements avec les « forces de l'ordre ». Ce sont des choses que je ne partage pas tous les jours. S'impliquer physiquement dans la lutte politique c'est courir le risque de poursuites judiciaires, le risque d'être blessé et malheureusement ce qui est arrivé ces derniers jours nous montre que ce risque va jusqu'à pouvoir y perdre la vie. Je ne milite pas pour ces moments de confrontations physiques mais dans un contexte où j'ai le sentiment personnel d'un désengagement généralisé j'ai le sentiment que si je ne m'engage pas moi, alors personne ne le fera. Personne ne m'y oblige donc mais je m'y oblige.
Pourtant ce que j'aimerais partager là n'est pas l'inquiétude mais plutôt l'indignation. Et je ne veux pas que cette peur qui peut exister face à la répression policière m'empêche moi et mes camarades de continuer à lutter pour ce qui nous semble juste. La radicalisation de l'oppression policière vise justement à nourrir cette peur de l'action, afin que celle-ci résorbe les moindres désirs de révolte ou d'émancipation.
Je ne me sens ni criminel, ni délinquant. Ma détermination peut être radicale mais pas extrême. Mes idées sont radicales car franches et difficiles à mettre en œuvre, mais elles sont radicales parce que leur mise en œuvre implique des changements à la racine, c'est-à-dire des changements globaux. L'idée d'extrême est l'idée d'avoir dépassé des limites morales. J'aimerais discuter de cet amalgame qui est facilement fait pour justifier mon engagement politique et dissiper la confusion possible.

Il ne faut pas opposer la violence au droit
La violence policière s'accroît et légitime sa nécessité encore plus dans ce contexte de crise économique. Parce que nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux à nous opposer à des projets coûteux sur des plans écologiques et économiques, l'État sait que s'il veut garder le contrôle il doit faire taire la contestation. C'est pour cette raison qu'il utilise la force. On pourrait relire de nombreux philosophes (Pascal ou Foucault entre autres) qui depuis des siècles et jusqu'à aujourd'hui ont très bien décrit comment le droit n'est pas une alternative à la violence comme veulent nous le rappeler trop souvent les politiciens défenseurs de la démocratie ou des droits de l'homme comme des instances immuables, mais plutôt comment le droit n'est possible que sur un fond de violence. Concrètement cela veut dire que l'État collabore avec les entreprises qui ne pensent qu'en termes d'intérêts et de profits, et leur fournit l'appui policier ou militaire nécessaire pour mettre en place des aéroports, des centrales, des barrages, des parkings où que sais-je. Max Weber, un sociologue qui a travaillé sur des questions de pouvoir pose comme définition de l'État l'instance qui a le monopole de la contrainte physique légitime sur un territoire donné. Cette citation n'a pas valeur de vérité par elle-même mais doit ouvrir la critique au rapport entre violence et droit. Pascal avait ce mot que je trouve très lucide. Sur une réflexion sur la justice il conclut dans ses Pensées : Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on fait que ce qui est fort fût juste. Aujourd'hui ce qu'il faut comprendre c'est ça : la violence policière détermine la limite du droit, du juste, du légal.

Nous ne sommes pas des casseurs
Il ne faut tomber pas dans le piège qui est tendu à chaque fois lors d'une médiatisation d'événements comme celui-ci. La stratégie est simple du côté du gouvernement : diviser pour mieux régner. Ainsi on peut déjà entendre parler de deux types de manifestant-e-s, les pacifiques d'un côté et les extrémistes de l'autre. Les bons et les méchants. D'un point de vue psychologique c'est toujours la même manipulation. Cet événement est impardonnable et injustifiable. La classe dirigeante le sait mais ne peut se voiler la face. Elle est allée trop loin mais dans une société du paraître et particulièrement dans cette période où l'image de cette classe est au plus bas, ce serait trop pour elle que d'avouer sa faute. Alors il faut un bouc-émissaire. Les radicaux, les anarchistes. On met tous les œufs dans le même panier pour signifier bêtement que les méchants c'est pas nous, c'est eux. On peut même lire des assimilations avec l'extrême droite, des casseurs venus là simplement pour foutre le bordel ou taper sur des flics (qui eux ne seraient que de simples pacifistes, non violents, c'est bien pour ça qu'on fait la guerre).
Quelle est donc la stratégie politique relayée par les médias ? Réduire celles et ceux qui sont déterminé-e-s politiquement à des personnes aux idées extrêmes et donc illégitimes ou inaudibles, des personnes trop jeunes et manipulées par d'autres, des personnes même sans idées politiques simplement en manque d'adrénaline et guidées par des instincts primaires, des sauvages ou des bêtes. La barbarie n'est pas du côté du peuple.
Mais qui sont vraiment ces personnes ? Moi, entre autres, avec des camarades de lutte. Des personnes qui partagent des idées politiques qu'ils affirment individuellement, ces idées étant légitimes bien que jugées radicales. Il ne faut pas prendre le problème à l'envers. Ce n'est pas parce que nous avons des pratiques illégales que notre propos doit être vu comme marginal, radical et classé anti-démocratique. Ça c'est la logique de manipulation du pouvoir. C'est bien au contraire parce que notre propos est légitime, alternatif et réaliste mais inentendu parce qu'il dérange qu'il suscite une réponse physique.
On peut avoir des idées politiques et agir par des moyens illégaux sans être ni des terroristes, ni des extrémistes, ni des casseurs juvéniles. Au Larzac ou à Plogoff pour ne prendre que ces deux exemples connus, des familles entières n'hésitaient pas à mettre les moyens à la hauteur de leurs attentes, et ces actions ont permis de faire reculer l'entêtement des politiques. Alors que les bien pensants de gauche comme de droite déterrent le spectre du fantôme du conseil de la résistance pour appeler à tout et son contraire, il est d'autant plus hypocrite de condamner le peuple quand il se prend en main. L'histoire aura le dernier mot. Regardons comme il a été honteux de voir le gouvernement français proposer son aide au dictateur Ben Ali, alors que tout un peuple se révoltait avec ou sans armes.

La violence c'est l'État
Mais la violence et l'extrême s'incarnent d'abord dans la police et ce n'est pas nouveau. Nous sommes sans cesse dans un rapport de force. C'est la force qui oblige le droit, ce n'est pas le droit en lui-même. On ne nous apprend pas quand on est petit à faire le bien parce que le mal est mauvais en soi. On nous apprend que si l'on fait ce qui est interdit on subira des sanctions. Une vision simpliste voudrait nous faire croire que la violence commence là où s'arrête le dialogue. Cette doctrine de la langue de bois sert alors à justifier et imposer n'importe quel projet pourvu qu'il y a du dialogue, des explications des experts en tous genres. La force policière est là justement pour nous faire taire quand le refus verbal a trop duré. L'argument de la non-violence est pure hypocrisie quand on sait comment sont traités les non-violents dans notre société. Gandhi, Mandela pour les plus connus ont subi autant de violence qu'aucun-e d'entre nous n'en subira jamais, je le souhaite. Le bonze Thích Quang Đuc qui s'est immolé face à l'oppression était loin d'être une brute, mais son suicide était évidemment violent. Parce que les décisions sont prises d'en haut, par et pour ceux à qui le capitalisme profite, et que c'est par la force qu'on tente de nous les faire avaler. C'est pour cette raison que je parle sans hésiter de fascisme étatique. C'est la même logique d'utilisation de la force pour contraindre le peuple qui opère aujourd'hui que celle qui est à l'œuvre dans des pays dictatoriaux ou que celle qui a été en place dans des régimes historiques selon d'autres modalités. C'est la même idéologie qu'il faut s'efforcer de combattre. C'est cette idéologie qu'on tente de dissimuler derrière un discours terrorisant, cynique et froid.
La colère, la rage, l'indignation peuvent et doivent trouver leurs places dans l'action politique. Parce que nous sommes avant tout des êtres humains doués d'émotions et toute la vie sociale doit tourner autour de ça. La doctrine libérale nous considère comme de simples consommateurs travailleurs, c'est-à-dire des machines engrangeant du capital pouvant être investi dans des marchandises servant des intérêts. Notre vie politique suit le même schéma. Nos désirs, nos émotions sont quantifiés pour répondre à des cahiers des charges et des budgets prévisionnels. Par dessus tout nous devons faire honneur à notre qualité d'être supérieurs d'animaux rationnels et ne pas nous laisser dominer par nos pulsions primitives. Telle est la doctrine dominante qui est hypocrite on le sait. C'est mesquin puisque tout le système capitaliste repose justement sur la manipulation de nos désirs les plus primaires en vantant le plaisir hédoniste, la satisfaction matérielle illimitée, et de l'autre en jouant sur nos peurs de l'autre, de l'insécurité, de la maladie, etc. C'est justement cette peur que doivent maintenir les forces armées de l'État pour empêcher les plus rebelles de propager le désir de révolte. Il y a un intérêt énorme à maintenir le peuple dans des normes sociales, des schémas de vie qui favorisent leurs profits à eux, les puissants. Et c'est à travers la force que cette idéologie perdure.

Justement parce que ce que je cherche à bouleverser c'est une idéologie, je ne vous demande pas grand-chose aujourd'hui. Parce que je connais le discours officiel et largement répandu je sais qu'il serait facile d'y adhérer sans y faire trop attention. J'en appelle à votre sens critique. Dites-vous que les personnes qui manifestent de manière pacifique ou plus engagée sont des gens comme moi. Et si vous me connaissez un peu vous savez que je ne suis ni un fanatique d'extrême-droite, ni un illuminé désorienté. Si malheureusement vous en veniez à cette conclusion, c'est qu'il y a un sérieux besoin de dialogue. Il est plus facile de poser une limite entre le bien et le mal qui correspondrait à une différence nette entre le dialogue et la violence, le légal et l'illégal, le juste et l'injuste, le légitime et l'illégitime. Sachons voir au-delà de ces réductions trompeuses. Je ne veux être ni un héros, ni un martyr. Je m'engage autant qu'il me paraît nécessaire de s'engager même si cela implique de dépasser les limites du légal, du violent, du bien paraître ou du normal. Inquiétez-vous. Non pas pour moi, mais pour vous. Dans quel monde, dans quelle société voulons-nous vivre ?

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