mercredi 19 septembre 2012

Sémiologie du corps (introduction)

Le corps nous rappelle la vie qui est en nous par sa nature purement biologique comme il nous répète la mort certaine par son pourrissement progressif. Notre enveloppe corporelle est à la fois la seule chose que nous semblons posséder vraiment en tant qu'objet matériel et est également la seule chose qui nous puissions pleinement partager. D'un côté notre corps est ce qu'il y a de plus intime et de plus précieux et de l'autre il est ce qui apparaît, il est malgré nous l'interface privilégié avec le monde, l'espace d'expression premier. 
Avec le corps, ce qui peut paraître contingent est à la fois nécessaire et contingent, à la fois réfléchi et superficiel, à la fois voulu et involontaire. Il n'existe pas de corps neutre duquel on ne pourrait tirer d'informations. L'absence de choix esthétique est en soi déjà un choix. Les différents choix d'apparence et de modification de celle-ci peuvent se fonder sur différents critères aussi esthétiques que politiques, sociaux et toujours philosophiques ! La question du corps et de l'image soulèvent directement d'intéressantes considérations sur l'idée d'identité, de sexe, de genre, de style...

Je distinguerai plusieurs manières de se transformer, d'être ou devenir soi-même. Il se trouve une première catégorie de construction d'une image à travers ce qui semble être nécessaire d'un point de vue simplement biologique c'est à dire ce qui rapporte à la coiffure et à l'habillement. La question de la pudeur bien qu'intéressante ne fait pas l'objet direct de ces lignes, nous nous en tiendrons à affirmer qu'il est nécessaire pour des raisons pratiques de porter un minimum de vêtements en société. Pour des raisons aussi pratiques l'entretien de la pilosité et des cheveux constitue une donnée nécessaire car indépendante de notre simple volonté et obligeant les animaux que nous sommes à faire quelque chose de nos poils et cheveux.
Une seconde catégorie est souvent liée à la première car il s'agit de l'accessoirisation du nécessaire en déclinant le vestimentaire et autres objets du quotidiens (aujourd'hui les produits technologiques) comme attributs annexes du corps. Enfin la troisième catégorie regroupe les transformations au sens littéral du corps, à savoir les tatouages, piercings, scarifications, etc... Il ne faut cependant comprendre ces distinctions que dans un but méthodologique, la question est maintenant de savoir si ce découpage peut correspondre à des positions philosophiques de nature similaire ou non, ou de degré différent mais manifestant d'une même conception du corps.

Nous naissons avec certaines caractéristiques physionomiques constituant une certaine image de nous-même susceptible d'être modifiée volontairement ou involontairement par une certaine alimentation, une pratique physique... le corps comme signe du temps est en premier lieu la marque de l'âge. Nous pouvons lire et essayons souvent de le faire à travers la taille, le développement même du corps et son stade d'évolution, l'âge du corps. Le corps et le visage parlent. Ils disent d'où nous venons, à quel milieu social nous appartenons. Une personne grasse ou rachitique, pâle ou bronzée, avec les traits marqués ou détendus, il existe autant d'indices fins et subtiles que de différences imaginables. Ce qui relève de la norme est propre à chaque culture et à chaque époque. Le canon de beauté change rapidement. L'esthétique est souvent (superficiellement) synonyme de bien-être. La culture du corps au sens propre comme au sens figuré repose sur l'image antique de l'harmonie du corps et de l'esprit, pouvant être mal interprétée comme l'idée que l'entretien du corps seul  suffirait à garantir une sérénité d'esprit. Que faut-il remarquer dans l'effort de transformation du corps ? L'idée de progression, de construction de soi qui est psychologiquement primordiale. L'homme se construit à mesure qu'il développe son image corporelle. Nous l'avons c'est en effet le seul bien qu'il ne puisse jamais vraiment posséder en propre. Seulement il est évident de constater qu'il est à l'inverse aussi facile de se faire déposséder de son corps, de s'en détacher et de le transformer en véritable objet au sens étymologique du terme (objectum) comme une chose qui se tient devant, au dehors. Le travail du corps pour le corps revient à sacraliser celui-ci. Une logique de perfection suppose la mise en opposition avec l'autre, une compétition qui place chacun derrière l'image qu'il montre de lui-même et non plus lui-même. Une mise en avant de l'objet corps est un retrait de l'individu, qui se félicite certes d'un travail ou même d'une œuvre mais qui doit abandonner celle-ci au jugement extérieur et ainsi la rendre publique, la partager.

L'utilisation du corps comme image pose toujours cette question de l'identité : comment être moi-même dans un rapport à l'autre ? comment puis-je construire quelque chose qui me ressemble mais que je puisse partager ? Comment se démarquer ? Nous ne sommes pas des êtres uniques sans pour autant renier notre individualité. Notre identité n'est jamais l'expression d'une unicité mais le rattachement à un groupe ou la démarcation d'un autre. L'identité est un ensemble de critères, de questions faces auxquelles nous devons faire des choix. Chaque choix pris indépendamment n'est jamais original, unique mais s'inscrit au contraire toujours dans une dynamique globale, une dialectique opposant des opinions. Mais de la multitude de ces critères repose la condition de possibilité d'expression originale de notre identité. C'est cet argument de l'infinité de choix qui offre au consommateur la chance d'exprimer le plus fidèlement possible ce qu'il est.

Tout comme le corps est inséparable de l'esprit, l'image du corps est inséparable du corps lui-même. L'individu ainsi se construit comme il construit son image. Celle-ci n'est plus alors la simple expression de ce qu'il est, ou de ce qu'il veut être mais se révèle comme un atelier d'expérimentation. Entre l'essence et l'apparence l'individu efface les barrières.Qui suis-je ? L'habit ne fait pas le moine. Il est cependant clair qu'il existe une relation forte entre l'un et l'autre et c'est ce travail que nous tenterons de mener...


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